Association des Jeunes Magistrats (AJM)
http://www.jeunesmagistrats.fr/v2/En-attendant-la-conference-de,186.html
En attendant la conférence de consensus sur la prévention de la récidive
vendredi, 15 février 2013
/ Le Conseil d’Administration de l’AJM

A l’occasion des réflexions en cours sur la lutte contre la surpopulation carcérale et contre la récidive, l’AJM a notamment été entendue par la Mission de l’Assemblée nationale, présidée par Dominique Raimbourg, et dont le rapport a été rendu il y a quelques semaines. En attendant les résultats parallèles de la conférence du consensus, nous vous proposons de découvrir les idées que nous avons pu développer. L’audition reste visible sur le site de l’Assemblée nationale.


La réalité de la surpopulation carcérale est connue et l’Association des Jeunes Magistrats n’entend pas insister sur ce constat. Il y a lieu toutefois de rappeler trois conséquences majeures :


- l’Etat est de plus en plus souvent condamné, par les juridictions européennes mais également administratives, pour les conditions de détention des personnes condamnées, qui sont placées sous sa responsabilité.


- la surpopulation carcérale limite toute action de réinsertion pendant la période de détention, qui n’est déjà pas la plus favorable : les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation comme les surveillants pénitentiaires sont débordés par le nombre de condamnés à encadrer dans un contexte budgétaire qui ne prévoit aucun renforcement réel des services.


- la surpopulation carcérale limite également l’examen des demandes d’aménagement de peine par les services de l’application des peines, dont les délais d’audiencement sont toujours plus importants : les personnes condamnées, dont le reliquat de peine à exécuter est le plus court, sont simplement privé de tout recours à l’aménagement.


La surpopulation pénale est le résultat de plusieurs facteurs :


- elle résulte des décisions de justice qui sont prononcées, mais d’abord des lois en vigueur, qui prévoient pour l’essentiel des délits une peine d’emprisonnement. Celle-ci est d’ailleurs la peine de référence du Code pénal, avec l’amende.


- les politiques pénales ont répondu à une attente sociale de fermeté et de retour de l’ordre public, qui n’est perçu qu’à travers la peine d’emprisonnement, à l’exclusion de toute peine (cf. la presse quotidienne régionale). Un changement implique donc une révolution du Code pénal mais aussi de la perception du droit par la société, qui pourrait passer par un changement de la terminologie (cf. Annexe 1).


- il n’y a pas de problème de culture des magistrats en terme de choix de la peine, la formation initiale étant performante à ce niveau. Le choix de l’emprisonnement par les juridictions est le plus souvent le résultat de délits graves, ou d’une accumulation de condamnations qui n’ont pas empêchées la réitération. Toutefois, il doit être observé que certaines réformes complexes ont pu être mal intégrées, comme les aménagements de peine pouvant être prononcés par la juridiction de jugement, faute de sensibilisation des magistrats dans le cadre de la formation continue.


- certaines peines ne sont pas véritablement exécutables, comme la peine d’amende ou de jour-amende, en l’absence de recouvrement ou d’information des juridictions sur le paiement ou la carence des personnes condamnées. Par manque d’organisation ou de budget, certaines peines n’existent pas ou disparaissent dans certains ressorts, comme les stages de citoyenneté ou les aménagements en placements extérieurs.


- certaines personnes peuvent difficilement faire l’objet d’une autre peine, la liberté étant souvent le dernier bien des personnes les moins fortunées : quelle peine peut être exécutée contre un étranger en situation irrégulière ? Contre un individu sans emploi ou domicile ?

Les solutions peuvent être trouvées à trois niveaux :
- au niveau de la peine prévue par la loi,
- au niveau du prononcé de la peine,
- au niveau de l’exécution de la peine.

Annexe 1 - une lutte contre le terme “emprisonnement”

Annexe 2 - réformer les infraction de la route

Annexe 3 - vers une nouvelle exécution de la peine



Des solutions à la surpopulation carcérale au niveau de la définition des délits

Limites à la peine d’emprisonnement
Des limites peuvent être posées de manière globale pour prononcer une peine d’emprisonnement, telle que la gravité particulière du dommage causé, ou le fait que l’intéressé ait déjà été condamné pour des faits identiques ou similaires. Ces critères sont toutefois généralement utilisés par les juridictions, de sorte que l’effet en sera atténué.

Requalification, contraventionnalisation, dépénalisation
Certains faits pourraient être revus dans leur qualification pénale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue, ou par une contraventionnalisation, voire une dépénalisation. Ces décisions, qui appartiennent au Parlement, ne peuvent selon nous ne porter que sur des faits pour lesquels l’atteinte à la victime et à l’ordre public est faible. Ainsi, le vol simple, la filouterie ou le non paiement de pension alimentaire peuvent être sanctionnés autrement que par l’emprisonnement ferme. Il convient également de s’interroger sur les infractions au code de la route, en particulier lorsqu’il n’y a aucune victime, puisqu’elles représentent 44% des condamnations prononcées par les juridictions françaises en 2011. A cet égard, la définition de certains délits pourrait être revue, notamment la conduite sous l’empire d’un état alcoolique, la conduite en ayant fait usage de stupéfiants ou la conduite sans permis ou sans assurance (cf. Annexe 2).

Le cas des infractions à la législation sur les stupéfiants
Une réflexion doit également être menée sur la répression des infractions à la législation sur les stupéfiants : l’usage de stupéfiants, très répandu dans la société, est puni de l’emprisonnement, ce qui donne lieu à de nombreuses condamnations, aux conséquences sociales parfois plus lourdes que l’infraction elle-même ; le délit de trafic de stupéfiants doit également être redéfini, puisque sa qualification très large (la détention, l’acquisition, l’offre ou la cession) peut s’appliquer à de simples usagers, et il n’est pas rare que des personnes contrôlées en possession de quelques grammes de cannabis (ou d’autres produits) soient renvoyées devant le Tribunal pour trafic de stupéfiants, encourant dix ans d’emprisonnement, et une peine plancher de quatre ans en cas de récidive.

L’effet des peines planchers
Le sens de la loi sur les peines planchers, dans un contexte de surpopulation carcérale, doit nécessairement être revu. Sans être exhaustif, le CGLPL a déjà pu constater son influence sur la surpopulation carcérale, les condamnations à l’emprisonnement en étant nécessairement plus fréquentes, mais également plus lourdes, indépendamment de toute appréciation réelle de l’adaptation de la peine aux faits et à la personne en cause, par le seul effet de la loi.


Des solutions à la surpopulation carcérale au niveau du prononcé de la peine

Opposition à une peine d’emprisonnement minimale
La peine d’emprisonnement s’impose parfois dans sa nature, soit à raison de la gravité des faits, soit au regard du parcours de délinquance de la personne jugée, sans qu’une longue peine soit pour autant justifiée. L’AJM est donc particulièrement inquiète de la possibilité de prévoir un seuil minimal nécessaire pour que l’emprisonnement puisse être ramené à exécution. En effet, lorsqu’une peine d’emprisonnement parait s’imposer, la conséquence de ce seuil pourrait être au final un alourdissement de la peine. Une telle disposition aboutirait donc à l’instauration de mini-peines-planchers, applicables à tous les délits.

Le cas des comparutions immédiates
Votre réflexion porte sur la prévalence de l’emprisonnement au moment des audiences de comparution immédiate. Il importe de rappeler une explication assez simple : les faits présentés dans le cadre de cette procédure ont déjà fait l’objet d’une appréciation par un magistrat du Ministère public, qui a estimé qu’une réponse rapide et ferme devait être apportée. Ce choix, qui repose sur des critères objectifs, est donc souvent confirmé par la juridiction de jugement. Toutefois, au regard de l’utilisation parfois détournée de la procédure de comparution immédiate par rapport à son objectif initial, il appartient toujours au Législateur, le cas échéant, de préciser plus strictement dans quelles conditions elle devrait être employée.

L’absence d’aménagements dès le prononcé de la peine
Si on peut s’interroger sur l’absence d’aménagement de peine dès l’audience de jugement, les explications en sont diverses : il faut disposer d’éléments sur les aménagements de peines possibles, dont les juridictions de jugements sont souvent dépourvues ; il faut disposer d’éléments sur la personnalité de l’auteur, en particulier sa situation professionnelle, qui ne sont pas apportées ; le prononcé d’un tel aménagement de peine est complexe. Il faut en effet prononcer l’emprisonnement, puis dire que la personne n’ira pas en détention et exécutera sa peine autrement, tout en précisant que la peine n’en est pas plus légère, avec éventuellement un mandat de dépôt qui trouvera quand même à s’appliquer, et une exécution provisoire qui obligera le Juge de l’application des peines à se saisir du dossier en cinq jours : à l’inverse, le Tribunal sait que le JAP pourra intervenir pour accorder un aménagement de peine plus tard... En tout état de cause, une formation des magistrats serait sans doute nécessaire pour ce type de réforme, assez complexe et applicable à l’essentiel des condamnations prononcées, afin qu’elles puissent être réellement maîtrisées.

La question de la double motivation
S’agissant de la double motivation exigée, d’une part pour prononcer une peine d’emprisonnement, et d’autre part pour ne pas ordonner un aménagement de la peine dès son prononcé, son manque d’efficience résulte du manque de moyens dont souffre la justice : aujourd’hui, la plupart des décisions sont rendues sans motivation précise, par le biais de mention générale ressortant de trames informatiques. Les juges apprécient donc la situation au regard des exigences légales, mais n’en font mention dans le jugement que dans le cas où l’une des parties a fait appel. La disposition est donc assez formelle.

La césure de l’audience
Sur la proposition d’une césure de l’audience correctionnelle aux fins de séparer le moment où la culpabilité est prononcée, et celui où la peine est fixée (avec l’idée de favoriser les possibilités d’aménagement de peine), elle nous paraît se confronter à des problèmes pratiques importants, même si elle devait être réservée aux comparutions immédiates : nouveau temps l’audience alors que les délais d’audiencement sont déjà souvent trop long, difficulté de rassembler à nouveau les magistrats de la première composition, qui ont toujours d’autres fonctions à tenir en plus de l’audience correctionnelle, obligation de reprendre le fond du dossier pour apprécier la peine... Cette solution nous paraît assez peu praticable en l’état des moyens donnés à la Justice.


Des solutions à la surpopulation carcérale au niveau de l’exécution de la peine

Quant aux propositions que vous avez pu formuler, et de manière rapide :

Le sursis simple
La réduction du délai de sursis simple à trois ans (au lieu de cinq années) peut mieux correspondre au temps moderne dans lequel nous évoluons. Il pourrait être préférable que la révocation du sursis simple soit l’objet d’une décision spéciale, pour que la juridiction ait la maîtrise de l’ensemble des conséquences de la peine qu’elle prononce. Néanmoins, et comme pour palier les exécutions de peine tardives, cela suppose que les greffes correctionnels soient renforcés, afin que les décisions puissent être mises en forme rapidement, et ainsi être transmises aussitôt au casier judiciaire.

La prescription de la peine
Dans le même ordre d’idée, la réduction du délai de prescription de la peine délictuelle nous paraît acceptable : il s’agit de prévoir là aussi qu’une peine prononcée doit avoir été ramenée à exécution dans ce délai plus court, au lieu des cinq années actuelles, à défaut de quoi, la condamnation reste définitive, mais ne peut plus être exécutée. Il s’agit de pallier aux difficultés que nous rencontrons actuellement, où des peines anciennes, jusqu’à cinq ans, sont ramenées à exécution contre des personnes qui ont totalement changé de vie.

Le Numerus clausus
Sur ce point, l’AJM y est favorable dans le principe, mais ce soutien est ambivalent : s’il s’agit pour le Parlement de prévoir de lui-même que, quand une personne est incarcérée au-delà de la capacité de l’établissement en cause, celle qui est le plus près de sa libération doit être libérée, il ne saurait y avoir d’inconvénient de principe. En revanche, s’il s’agit d’une décision du JAP ou du Procureur, cette solution ne nous paraît pas opportune en terme de responsabilité. L’une des possibilités serait de prévoir pour le Parquet ou le JAP une forme de véto à l’exécution de la libération prévue par la loi en fonction de la personnalité ou du parcours pénal de la personne concernée, mais cela n’enlèverait aucune interrogation sur la question de la responsabilité des magistrats. Reste que le principe du numerus clausus pourrait poser des difficultés d’ordre constitutionnel s’agissant de l’égalité des citoyens : en effet, un détenu intégrant un établissement carcéral surchargé sortirait plus vite qu’un détenu dans un autre établissement, même si les conditions de détention peuvent être différentes.

L’élargissement des aménagements de peine
Une autre possibilité de traiter la surpopulation carcérale serait d’élargir les possibilités d’aménagement de peine, en les rendant de plus en plus faciles : pendant une première période, la détention aurait lieu, sans débat possible sur l’aménagement de peine ; pendant une seconde période, l’aménagement de peine serait possible dans les conditions actuelles, avec un projet de sortie ; enfin, dans une dernière période, l’aménagement serait presque de droit, afin de permettre le retour de la personne dans la société en s’assurant qu’un accompagnement sera prévu (Cf. Annexe 3).


La lutte contre la surpopulation carcérale, un combat dont la réussite dépend des moyens offerts au suivi des condamnés en milieu ouvert.

Dans le cadre de cette question de la lutte contre la surpopulation carcérale, un avertissement nous paraît être donné. Toute solution pour traiter cette question nous paraît devoir être envisagée, tant le problème est urgent à résoudre. Toutefois, il faut être attentif aux effets de levier que certaines d’entre elles pourraient entraîner : si l’emprisonnement est moins prononcé ou si les aménagements de peine sont plus souvent employés, la charge du suivi des condamnés va reposer plus lourdement sur les services de l’application des peines d’une part, mais encore et surtout sur les services pénitentiaires d’insertion et de probation, lesquels sont déjà débordés, avec souvent plus de 100 personnes à encadrer pour chaque conseiller d’insertion et de probation : la situation est déjà difficile, et un élargissement des alternatives à l’emprisonnement entraînera des conditions de travail impossibles sans un renforcement important de tous les services, dans une période où ils ont été très souvent accusés d’être “coupables” des actes commis par les condamnés qu’ils accompagnaient.

L’encadrement des délinquants en milieu ouvert, dans le cadre de peines alternatives à l’emprisonnement ou d’aménagements de peine est, avec certitude, le moyen le plus efficace pour lutter contre la récidive. L’emprisonnement n’a de sens que dans un objet répressif de sanction, qui doit s’inscrire dans un encadrement plus large, qui se poursuit à l’extérieur. Toutefois, la société ne saurait en être convaincue que si la volonté politique s’accompagne de moyens réels, démontrant la pertinence de cette réponse. Il convient d’être attentif en effet à ce que la lutte contre la surpopulation carcérale s’accompagne des moyens nécessaires à l’encadrement des personnes condamnées, à l’extérieur des établissements pénitentiaires, car un échec de ce combat aura pour seule conclusion possible, dans les années à venir, un développement encore plus important qu’aujourd’hui de la peine d’emprisonnement.

La réponse que le Parlement apportera à lutte contre la surpopulation carcérale ne doit donc pas être détachée d’un travail contre la délinquance et la récidive, lequel ne passe pas que par des innovations juridiques, mais encore et surtout par des moyens budgétaires adaptés à l’importance de la population concernée.


Annexe 1 - une lutte contre le terme “emprisonnement”

Annexe 2 - réformer les infraction de la route

Annexe 3 - vers une nouvelle exécution de la peine