Association des Jeunes Magistrats (AJM)
http://www.jeunesmagistrats.fr/v2/Reflexions-sur-les-tests.html
Réflexions sur les tests psychologiques et de personnalité
vendredi, 6 juin 2008
/ Le Conseil d’Administration de l’AJM

L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) fête cette année ses 60 ans, et concomitamment opère une réforme importante du recrutement et de la formation des magistrats. Cet anniversaire aurait pu être l’occasion de réfléchir au travers de débats publics aux nouveaux enjeux de la magistrature, et notamment de proposer une définition des qualités humaines attendues du magistrat. Or force est de constater que le projet de l’ENM définit de manière unilatérale ces qualités là où un débat public avec des universitaires, professionnels, intellectuels, personnalités de la société civile mais aussi l’ensemble des citoyens aurait dû être organisé. Cette définition des qualités humaines ne peut qu’être le préalable à l’introduction des tests psychologiques et de personnalité. L’Association des Jeunes Magistrats (AJM) considère que le calendrier imposé par l’ENM et la chancellerie pour mener à bien une réforme sérieuse du recrutement et de la formation des magistrats ne se justifie pas et souhaite dès la rentrée mener cette réflexion afin de proposer sa version du recrutement et de la formation idéale.

Mais l’AJM souhaite malgré ce calendrier qui lui est imposé, répondre au projet de réforme sur le recrutement des magistrats et sur l’introduction des tests psychologiques, à travers plusieurs pistes de réflexions. L’AJM reconnaît que des difficultés existent dans l’identification des personnalités incompatibles à l’exercice des fonctions de magistrats, non pas sur un plan technique, ce qui est déjà fait à l’ENM, mais aussi au regard des qualités humaines. Elle est consciente de l’attente sur ce point des citoyens et constate l’absence de processus actuel clair permettant d’éviter des personnalités n’ayant pas ces qualités humaines. Elle souhaite ainsi que des filtres soient mis en place afin de s’assurer que les magistrats présentent des qualités humaines suffisantes à l’exercice de leur profession.

Sur la définition de la notion de qualités humaines :

Pour l’AJM, et avant toute réflexion de fond sur cette question, les qualités humaines sont entendues comme étant des qualités d’écoute, de prise de parole en publique, de relationnel, de doute, d’autorité, et d’interaction au justiciable et à ses collègues. La plupart de ces qualités sont déjà bien décelées lors de la période théorique à Bordeaux et lors du stage juridictionnel, notamment sur la culture du doute et l’autorité. Plus difficile est d’éviter les personnalités ne disposant pas de qualités relationnelles et de sociabilité suffisantes, ainsi que les personnalités pathologiques. L’AJM souhaite qu’une réflexion soit menée sur ces deux axes essentiels.

Sur les étapes de mise en place de filtres :

Il est essentiel qu’un premier filtre réel et sérieux soit mis en place lors du recrutement des magistrats. Mais les circonstances d’un concours d’entrée ne peuvent être considérées comme un filtre suffisant. Bien au contraire, il ne peut être exclu que des personnalités posant réellement des difficultés par la suite puissent passer au travers de ce filtre notamment par la possibilité de préparer les différentes épreuves. C’est au stade de la formation initiale que doit donc être mis en place un deuxième filtre, le plus important. Enfin, les aléas de la vie peuvent conduire les magistrats en exercice à des difficultés personnelles pouvant avoir des conséquences sur leur aptitude à rendre la justice. Un troisième filtre tout au long de la carrière doit être renforcé. Ce n’est que par une réflexion transversale de ces trois étapes qu’une solution sérieuse pourra être trouvée.

Sur le filtre lors du recrutement des magistrats :

Les qualités humaines doivent être considérées de manière indépendante de l’expérience professionnelle. Toute personne souhaitant devenir magistrat doit être soumis au même filtre préalable quelque soit son expérience professionnelle antérieure. L’AJM insiste sur ce point car le souhait plus ou moins affiché de recruter en plus grand nombre des magistrats ayant une expérience professionnelle antérieure ne peut en aucun cas conduire à restreindre l’appréciation de l’aptitude au regard des qualités humaines.

L’AJM est totalement opposée à la mise en place des tests psychologiques et de personnalités. Le premier risque qu’elle voit dans ces tests c’est le nivellement des profils finalement recrutés par l’affirmation d’une norme sociale à laquelle les futurs magistrats doivent répondre, ce qui est en opposition totale avec l’objectif de diversité des recrutements. De plus, comme elle a déjà pu l’exprimer, l’AJM considère que ces tests ne permettront pas de manière efficace de déceler les personnalités pathologiques. Seules de véritables expertises psychologiques ou psychiatriques peuvent permettre d’apprécier si une personne a une pathologie mentale, sous réserve de la compétence de l’expert. Ces tests peuvent être préparés via des instituts privés, ce qui accentue d’ailleurs l’inégalité entre les candidats selon leurs capacités financières. Ils sont extrêmement coûteux au regard du résultat espéré puisque seuls quelques individus devraient être par ce biais exclus. Enfin, aucune garantie n’est apportée sur l’utilisation qui sera faite de ces tests. S’ils ne seront pas selon l’avant projet de l’ENM éliminatoires en tant que tel, ils seront soumis à l’appréciation du jury du concours qui pourra prononcer une note éliminatoire sans que le candidat sache quelle en est la raison, c’est à dire de manière opaque. Par conséquent ces tests ne peuvent constituer le filtre suffisant pour les objectifs rappelés si dessus. Au contraire cette mesure présente des désavantages rédhibitoires : elle créera des inégalités entre candidats et des insécurités quant au recrutement de magistrats compétents. Poudre aux yeux pour l’opinion publique cette mesure conduira l’ENM à se dédouaner de ses responsabilités sur le jury d’entrée à l’ENM alors que c’est à elle de prononcer l’aptitude des futurs magistrats.

Deux mesures suffisent au stade du recrutement pour assurer un premier filtre concernant les qualités humaines. Ainsi, une épreuve de simulation en groupe, déjà prévue pour des concours de grandes écoles de commerce notamment, permet de déceler les difficultés relationnelles et d’interaction à l’autre, ainsi que les capacités au travail collectif. Cependant telle qu’actuellement prévue dans l’avant projet de l’ENM, cette épreuve n’est pas satisfaisante car elle ne permet pas d’assurer l’égalité des candidats et n’offre pas des garanties d’effectivité. Ses objectifs doivent être clairement déterminés et précisés notamment sur l’absence de recherche de mise en concurrence des candidats entre eux. De plus le débriefing individuel prévu à la suite de l’exercice avec le jury doit être le seul critère d’évaluation du candidat afin d’assurer une absence des conséquences des aléas des compositions des groupes.

L’entretien avec le jury orienté vers un entretien de recrutement permet aussi un premier filtre sur la personnalité du candidat. La présence dans le jury d’un psychologue peut être intéressante à condition que ses observations n’aient pas un poids excessif sur le jury. Mais il convient de préciser s’il s’agira d’un expert ou d’un professeur. La présence d’un spécialiste du recrutement doit être aussi précisée.

Enfin, la séparation de ces deux épreuves peut permettre un regard distancié et complémentaire sur les candidats. Cela permettrait en outre que l’entretien avec le jury ne se fasse qu’avec 5 membres du jury ce qui reste un nombre suffisant. C’est à ce stade les seuls résultats à attendre du recrutement des magistrats.

Sur le filtre lors de la formation initiale des magistrats :

L’AJM considère que c’est réellement au stade de la formation que l’identification de personnalités ne disposant pas des qualités humaines suffisantes à l’exercice de la profession de magistrat peut se faire. En effet, il faut constater que c’est lors de la première période de formation à Bordeaux que la sociabilité du futur magistrat peut en partie se révéler par l’interaction avec ses futurs collègues. Surtout, c’est lors du stage juridictionnel que les difficultés relationnelles, d’incapacité à prendre une décision, et à être en interaction avec le justiciable, peuvent se révéler. L’ENM doit prendre ses responsabilités dans ce domaine et il convient de réfléchir à une procédure lui permettant de le faire dans le respect de l’auditeur de justice. La difficulté est que les magistrats notamment ceux qui suivent en juridiction l’auditeur de justice peuvent être compétents pour apprécier les qualités techniques d’un futur magistrat mais n’ont ni la compétence ni les qualités d’appréciation en ce qui concerne l’absence des qualités humaines pouvant conduire à l’exclusion d’un auditeur de justice. Ils ne disposent que de ressentis qu’ils ne savent pas traduire ou n’osent parfois pas traduire en raison des conséquences possibles pour l’auditeur. Cela explique souvent les hésitations du jury de l’examen de sortie puis de l’école dans leurs décisions d’aptitude et l’incompréhension de ces décisions. C’est pour l’AJM la principale évolution qui doit être effectuée.

L’innovation repose sur la mise en place d’une commission pouvant s’appeler la Commission d’Evaluation de l’Aptitude qui pourrait être saisie à tout moment de la formation initiale en cas de constat de trouble relationnel ou pathologique ayant une incidence directe dans la pratique des fonctions de magistrat. Elle pourrait être composée des deux Sous Directeurs des Stages, d’un Chargé de Formation, d’un Directeur du Centre des Stage, d’un Magistrat Chargé de la Formation et d’un membre non magistrat du CSM. Elle serait saisie lors de la période bordelaise par le collège des chargés de formation d’un auditeur qui après un entretien avec l’auditeur et un écrit motivé aviserait le directeur des études qui de la même manière saisirait la Commission d’Evaluation de l’Aptitude. Lors du stage juridictionnel, le DCS pourrait aviser après un écrit motivé de cas concrets et un entretien avec l’auditeur le MCF qui de la même manière saisirait la Commission.

La Commission ferait le tri entre les saisines afin d’en éviter les abus, s’entretiendrait avec l’Auditeur de justice, pourrait demander avec son accord son examen par un psychologue ou un psychiatre, ainsi que toute mesure d’investigation psychologique. Elle pourrait ainsi demander qu’un psychologue assiste à des auditions et audiences de l’auditeur en juridiction. L’auditeur pourrait solliciter le cas échéant une contre expertise. L’expertise n’interviendrait qu’avec l’accord de l’auditeur de justice et qu’en cas d’absolue nécessité afin d’éviter tout abus.

La Commission pourrait prononcer à l’auditeur un simple avertissement, ou le changer de lieu de juridiction en cours de stage. Elle pourrait proposer son redoublement ou l’exclusion à l’ENM qui prendrait la décision finale. Cette procédure permettrait ainsi d’accompagner l’auditeur de justice quelque soit sa décision et de lui permettre de s’y préparer et de réfléchir, avec l’ENM à des possibilités de reclassement.

Seule une procédure contradictoire, permettant de faire la part des choses entre un manque de confiance en soi et un problème de personnalité, et imposant à l’ENM de prendre ses responsabilités, pourra être efficace. Cette nouvelle procédure repose notamment sur la formation des magistrats maîtres de stages afin qu’ils soient sensibilisés et responsabilisés dans leur évaluation de l’auditeur de justice. La Commission ayant une saisine large et pouvant prendre des mesures visant à aider l’auditeur, sa saisine doit pouvoir être facilitée dès lors que l’aptitude professionnelle peut être engagée par le comportement de l’auditeur. L’AJM insiste sur le fait qu’elle conçoit cette commission comme une manière d’accompagner sérieusement les auditeurs de justice en difficultés, de les protéger le cas échéant d’humeurs non fondées des maîtres des stages et de veiller à ce que l’ENM dispose d’une véritable procédure transparente et humaine dans la gestion de ces situations difficiles.

La période de la formation initiale est aussi l’occasion pour l’auditeur de justice d’enrichir sa personnalité au contact de milieux différents. L’AJM insiste sur l’intérêt que pouvait revêtir dans ce domaine les stages extérieurs. Elle regrette vivement que ces stages ne soient plus prévus ou seulement limités dans le cadre de la première fonction. Dans le même objectif, la période de formation initiale doit permettre des regards croisés sur l’activité des magistrats. A ce titre, la présence à l’ENM d’un psychologue est une nette avancée. Cependant l’AJM insiste sur le fait que cette personnalité doit pouvoir participer aux simulations d’audience et faire avec les auditeurs de justice un véritable travail pratique pouvant leur apporter un éclairage différent sur les situations auxquelles ils seront confrontés. Force est de constater que tel n’est pas actuellement le cas à l’ENM. Le psychologue pourrait être présent lors de séances de débriefing. Comme tout au long de la carrière, l’AJM souhaite que soit reconnue la nécessité d’un soutien psychologique ne serait-ce que ponctuel pour les magistrats. Bien entendu, il ne peut être question qu’un même professionnel puisse à la fois être enseignant et expert judiciaire. Il conviendra par conséquent de bien différencier ces deux fonctions du psychologue.

Sur le filtre en cours de carrière :

Quel que soit le profil du magistrat, il est confronté régulièrement à des difficultés humaines lors de l’exercice de sa profession. L’AJM propose que puissent être mis en place dans les tribunaux ou dans toute autre structure des groupes de discussions (de type groupe Balint) avec une personnalité extérieure pouvant être un psychologue. Ces groupes permettront aux magistrats de confronter leurs expériences et de les enrichir. Il conviendrait dès lors d’augmenter de manière significative les soutiens psychologiques proposés par les Cours d’Appels.

Les aléas de la vie peuvent conduire à des troubles de la personnalité ou des difficultés relationnelles importantes. L’exigence imposée par le fait de rendre la justice doit être la même en début de carrière comme tout le long. Des solutions efficaces doivent être apportées pour aider les magistrats en difficultés mais des solutions doivent aussi être trouvées pour éviter que des personnalités n’apportant pas toutes les garanties continuent à rendre la justice.

En cas de pathologie mentale, il parait nécessaire qu’une procédure permette un examen psychiatrique. En cas de troubles de la personnalité ayant des incidences sur l’activité professionnelle, les procédures disciplinaires doivent pouvoir être plus efficaces. La difficulté demeure pour la barrière entre le disciplinaire et le médical. L’AJM souhaite que l’institution puisse aider les collègues en difficulté mais que cela ne perturbe ni l’organisation d’une juridiction ni le rendu de justice. La rigueur qui s’impose dans le rendu de justice doit conduire à interdire un temps ou définitivement d’exercice ces magistrats. Il convient de donner les moyens aux chefs de juridiction et des cours d’assumer leurs responsabilités de vigilance et de gestion de ces personnalités. Ainsi, les chefs de juridiction pourraient saisir le CSM de ces difficultés qui seul pourrait déterminer via des mesures d’investigations, le statut du magistrat fragilisé. Une des décisions du CSM pourrait être de libérer le poste occupé par le magistrat et de le remplacer par un magistrat placé soit de l’attribuer par voie de transparence à charge pour le magistrat remplacé de revenir lors d’une nouvelle mobilité de la transparence ou en surplus. Un juste milieu doit être trouvé pour permettre d’un côté l’accompagnement du magistrat et de l’autre la poursuite de l’activité juridictionnelle de qualité. Une augmentation des possibilités offertes aux chefs de cours doit leur permettre d’assumer plus facilement leur responsabilité.

Conclusion :

Les tests psychologiques et de personnalités sont inefficaces, contre productifs et inutiles. L’AJM considère que d’autres solutions plus sérieuses existent. Il est essentiel que la réforme du recrutement et de la formation en cours ose prendre de réelles mesures efficaces et assume d’aller au bout des objectifs recherchés. Tant l’opinion publique que les magistrats eux mêmes ne pourront qu’être rassurés d’une responsabilisation accrue des instances décisionnelles des carrières. C’est en tout cas l’exigence principale que l’AJM soutiendra. Ce sera la base du travail qu’elle fournira prochainement loin de toute exigence d’un calendrier, via notamment un large débat public et démocratique.