Association des Jeunes Magistrats (AJM)
http://www.jeunesmagistrats.fr/v2/L-AJM-refuse-la-concertation-de-la.html
L’AJM refuse la "concertation" de la Chancellerie
lundi, 3 mai 2010
/ Le Conseil d’Administration de l’AJM

Madame le Ministre d’Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés,

Vous avez proposé à l’Association des Jeunes Magistrats (AJM) de participer à la « concertation » sur l’avant-projet de loi modifiant le Code de procédure pénale. Nous vous adressons sous forme d’observations nos inquiétudes quant au processus d’élaboration de ce texte d’importance.

Les 200 membres de l’AJM tiennent d’abord à rappeler qu’ils sont tout à fait favorables à une réforme de notre procédure pénale allant dans le sens d’une simplification du droit, d’une meilleure lisibilité de l’organisation judiciaire pour le justiciable et d’un ré-équilibrage fort entre les pouvoirs dévolus aux magistrats et aux enquêteurs d’une part, et les garanties accordées aux parties, d’autre part.

Les jeunes magistrats, qu’ils soient du siège ou du parquet, partagent le souci d’accomplir leur rôle constitutionnel de protecteurs des libertés fondamentales, tout en garantissant l’efficacité de l’enquête pénale. Comme les citoyens français, ils sont profondément attachés aux principes de la présomption d’innocence, du contradictoire, et des contre-poids procéduraux.

C’est justement dans cet état d’esprit que nous ne pouvons accepter les conditions préalables à la « concertation » que vous avez fixées.

Il n’est d’abord pas envisageable pour nous de cautionner la suppression du juge d’instruction sans pouvoir en discuter les avantages et les inconvénients. Nous estimons en effet que la disparition d’un pilier majeur du système judiciaire français, et clairement identifié par le justiciable aujourd’hui comme l’enquêteur des affaires les plus graves et les plus complexes, mérite un débat public plus approfondi. La confiance des citoyens en leur justice ne peut passer que par le maintien d’un enquêteur indépendant du pouvoir politique, seul gage de la séparation des pouvoirs et de démocratie. Nous ne cherchons pas à sauver le juge d’instruction. Nous réfléchissons beaucoup à nos pratiques et à notre système judiciaire car nous considérons que c’est à ce prix que nous pourrons faire évoluer, tant la qualité de la Justice que son image, vers plus de modernité. Mais si certaines évolutions peuvent apparaître nécessaires, elles doivent se faire dans le cadre d’un débat démocratique qui ne peut être rogné dans ses aspects les plus fondamentaux.

De la même manière, il ne nous paraît pas plus acceptable de nous abstenir de questionner le statut d’un parquet qui constituerait la clé de voûte de la nouvelle procédure pénale. Refuser de faire rentrer les missions du parquet, son statut et la question de son rattachement au pouvoir exécutif dans le champ de votre « concertation » revient, dès lors, à refuser d’ouvrir la discussion sur l’essentiel de la réforme.

Notre association est composée des magistrats qui tous les jours tiennent les permanences téléphoniques de jour comme de nuit. Ils connaissent la réalité du terrain et peuvent le mieux appréhender les conséquences pratiques des réformes en cours. Les jeunes magistrats du parquet savent bien que les instructions écrites n’existent pas en pratique, mais font l’expérience régulière d’instructions orales dont vous ne pouvez ignorer l’existence. Une affaire dite « signalée » impose au substitut d’en référer à sa hiérarchie avant toute prise de décision, sous peine de se voir reprocher un défaut de loyauté, retirer le suivi du dossier ou même affecté dans un service moins valorisant. Les courriers d’élus locaux, les appels du commissaire ou du préfet, les recommandations de la Chancellerie, sont loin d’être des cas d’école. C’est cette réalité de terrain que les jeunes magistrats se doivent de vous rappeler, afin que vous compreniez en quoi il n’est pas envisageable pour nous de discuter d’un avant-projet en éludant ces questions primordiales pour la sauvegarde des droits fondamentaux. Dans ces conditions, le devoir de désobéissance prévu dans l’avant-projet, à l’égard d’une hiérarchie qui vous évalue, qui vous note et décide de votre affectation, n’est qu’un leurre qui ne trompe personne.

Vous aurez compris que l’ensemble de ces considérations ne permet pas à l’Association des Jeunes Magistrats de livrer une analyse plus circonstanciée de l’avant-projet de loi. Loin de rejeter le principe d’une réforme attendue et nécessaire, les jeunes magistrats demeurent à votre disposition, sous d’autres conditions, pour apporter leur contribution à l’édifice d’une Justice de meilleure qualité, indépendante et garantissant l’égalité des parties.

Nous vous prions de croire, Madame le Ministre, en l’assurance de notre très haute considération.

le Conseil d’Administration de l’AJM


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