Association des Jeunes Magistrats (AJM)
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Instrumentalisation de l’actualité, cas pratique : les jurés
mercredi, 15 septembre 2010
/ Jeunes Magistrats

Une dépêche de l’agence Reuters du 10 septembre (1) nous apprend que « Nicolas Sarkozy réfléchit à l’installation de jurés populaires auprès des magistrats professionnels des tribunaux correctionnels pour "rapprocher le peuple de la justice" », inspiration soudaine qui serait à mettre en lien avec de récents faits divers « comme le meurtre d’une joggeuse près de Lille par un homme déjà condamné pour viol » ou encore la remise en liberté après sa mise en examen du « second braqueur présumé de Grenoble (2) ». On ne peut que s’étonner, pour dire le moins, de la mise en relation de ces deux affaires avec la possible introduction d’assesseurs « citoyens » dans la composition des tribunaux correctionnels. Car, en effet, s’il existe des arguments tout à fait recevables au soutien d’une telle idée (qu’il n’est pas dans notre propos d’exposer ici), le contexte invoqué comme ayant présidé à son émergence dans le discours présidentiel n’a que peu de lien avec la mesure projetée. Il s’agit d’une nouvelle illustration de la désormais classique instrumentalisation de l’actualité au service des desseins élyséens, que nous nous proposons de décrypter.

Concernant le premier fait divers évoqués, de deux choses l’une : la libération supposée prématurée de la personne soupçonnée d’être l’auteur du meurtre de Marcq-en-Baroeul peut être attribuée soit à l’insuffisance de la peine initialement prononcée, soit à la décision ayant ordonné la libération conditionnelle de l’intéressé. Or, quelle que soit l’option choisie, la solution proposée par le Président est hors sujet : dans le premier cas (laxisme de la première condamnation) il n’est pas inutile de rappeler que c’est un jury d’assises qui a prononcé la peine, ce qui milite (dans la logique argumentative retenue) non pour une extension du jury populaire mais, à l’inverse, pour sa suppression ; dans le second cas (laxisme du juge ayant décidé la libération anticipée), la décision émanait du juge de l’application des peines, il est donc à peine besoin de souligner l’absence d’effet sur des décisions de cette nature de la modification de la composition du tribunal correctionnel.

Même constat pour ce qui est du second fait divers évoqué : le tribunal correctionnel n’a rien à voir avec la décision de placement sous contrôle judiciaire de Monsif Gabbour, laquelle émane du juge des libertés et de la détention.

Dans les deux cas, c’est un peu comme s’il était proposé de réformer le recrutement des dentistes pour répondre à l’émoi causé par les conséquences dramatiques d’un acte gynécologique.

Sans aborder la pertinence de la mesure proposée, qui nécessiterait de plus amples développements, ces simples rappels suffisent à démontrer que le souci de l’Elysée n’est en rien d’apporter des solutions efficaces à des problèmes concrets mais d’invoquer l’actualité à l’appui de projets dont la source d’inspiration est autre. Le réel fondement d’une telle annonce se laisse deviner, cependant, en filigrane, par une analyse de la terminologie employée : l’énoncé des deux évènements fait peu de cas de la présomption d’innocence : le meurtre de Marcq-en-Baroeul est d’ores et déjà attribué au principal suspect, de même que Monsif Gabbour est le « second braqueur présumé » du casino d’Uriage. Présumé braqueur, donc présumé coupable et non l’inverse… On ne peut que constater qu’une étape clef de la procédure pénale est ouvertement ignorée : la déclaration de culpabilité par une juridiction légalement constituée.

Où l’on voit que le monde judiciaire idéal du Président se passerait bien de cette étape rébarbative à l’utilité douteuse…

Jeunes Magistrats

1. Gérard Bon et Thierry Lévêque « Sarkozy réfléchirait à la présence de jurés en correctionnelle », Reuters France, 10 septembre 2010

2. Damien Delseny et Pascale Egré, « Sarkozy veut des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels », Le Parisien, 11 septembre 2010