Association des Jeunes Magistrats (AJM)
http://www.jeunesmagistrats.fr/v2/Une-semaine-mediatique-le-Yoyo.html
Une semaine médiatique, le "Yoyo" judiciaire
mercredi, 29 octobre 2008
/ Paul Huber

La semaine que nous venons de vivre reflète l’image que les citoyens ont de notre justice. Petit tour d’horizon.

21 octobre 2008 : Madame la Garde des Sceaux à l’Emission « A vous de Juger »

Les magistrats sont en colères depuis une dizaine de jours en raison du traitement médiatique et politique fait par Madame la Ministre du suicide d’un mineur à la Maison d’Arrêt de METZ-QUEULEU. C’est la goutte d’eau qui fait déborder l’exaspération des magistrats latente depuis plusieurs mois. Cette émission n’accorde à ce malaise que quelques minutes après avoir largement parlé de la grossesse de Madame DATI ainsi que de sa vie privée. Aucun magistrat n’est présent sur le plateau et lorsqu’on lui pose enfin la question de ce malaise, Madame DATI répond qu’il est normal que certains émettent des critiques car elle fait de nombreuses réformes, qu’elle est à l’écoute des victimes et a pour objectif de rendre la justice aux citoyens.

Personne n’est présent pour lui dire que les magistrats aussi écoutent les victimes mais qu’ils ne sont pas là que pour ça. Personne ne peut lui répondre que le malaise ne porte pas uniquement sur les réformes mais sur l’indépendance de la Justice mise à mal par les pressions et les récupérations médiatiques du pouvoir politique. Les citoyens ne connaissent pas leur justice, personne n’est là pour dire à Madame DATI que contrairement à ce qu’elle affirme, elle ne fait rien pour qu’ils la connaissent mieux.

Journée du 23 octobre 2008

C’est le jour de notre mobilisation nationale unitaire et quasi unanime. Les magistrats se rassemblent sur les marches des palais, ils lisent des motions et des communiqués de presse. La presse est présente. Le message passe : au delà de Madame DATI, c’est les atteintes à l’indépendance de la Justice qui inquiètent. On arrive même à faire entendre que l’indépendance de la Justice n’est pas là pour les magistrats mais pour les citoyens, comme garantie de la Démocratie. La presse écrite mentionne ce malaise et fait référence au récent rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature sur le fossé entre la Justice et les citoyens et aux résultats du sondage IPSOS sur les français et leur Justice. La télévision se fait échos de ce malaise même si elle le place uniquement sous l’angle des attaques contre Madame DATI. Pour la première fois l’opinion publique semble comprendre et approuver cette journée d’action.

France inter 8h15 et "C dans l’air" 17h50 :

Ces deux émissions sont le reflet d’une difficulté importante pour les magistrats : Qui peut parler de la justice au citoyen, et qui peut nous représenter sur la scène médiatique ? Lors de la première émission c’est Messieurs PORTELLI (syndical de la magistrature) et BILGER( avocat général et animateur de son blog). Lors de la secondes émission, c’est Messieurs TOUZELIER (ancien président de l’union syndicale des magistrats) et BILGER (toujours avocat général). La présence de Monsieur BILGER pose problème dès lors qu’il intervient pour l’opinion publique comme une personnalité pouvant parler du malaise des magistrats. Car Monsieur BILGER ne parle que de lui et ne représente que lui-même. Il est contre la journée de mobilisation, pour la politique pénale actuelle et pense que Madame DATI ne fait que des maladresses. Là encore, la question n’est pas Madame la Ministre, ni même, comme le laisse penser « C dans l’air », de savoir si la substitut de SARREGUEMINES devait ou non être entendue par l’inspection des services judiciaires à une heure du matin. La question est plus grave, plus ancienne et plus inquiétante. L’image de la justice est très négative. Au lieu de la restaurer, d’affirmer l’indépendance de la Justice, le pouvoir politique l’utilise à des fins d’affichage. L’indépendance de la Justice est en danger et du coup la Démocratie. Ce message ne passe que difficilement au citoyen. Il n’intéresse que peu les médias qui préfèrent concentrer les débats sur la lutte de personne et les mises en causes personnelles. Dommage, c’est deux occasions manquées pour parler de la Justice.

24 Octobre 2008 : Le retournement médiatique : encore un ratage judiciaire intolérable

Le lendemain 24 octobre 2008 les médias ne se font plus échos de cette journée de mobilisation. La justice vient de remettre en liberté une violeur multi récidiviste après une erreur de rédaction d’un jugement. C’est de nouveau l’incompréhension de l’opinion publique ; de nouveau le spectre des juges irresponsables. Pour la première fois, l’idée apparaît selon laquelle si cette erreur a été commise c’est aussi à cause du manque de moyens de la justice. Peut être est-ce du à la journée d’action de la veille. Mais les médias reprennent en boucle ce nouveau scandale comme l’opposant symboliquement à la grogne des magistrats de la veille. Bien sûr on peut se demander pourquoi l’erreur matérielle n’a pas été immédiatement modifiée, ni pourquoi un aussi haut magistrat (Président d’une des Chambres de l’Instruction de la Cour d’Appel de PARIS) n’a pas pris la peine de relire son arrêt portant sur une question délicate. Cet événement accentue le fossé entre la justice et les citoyens et met à néants les efforts de pédagogie. Certains diront qu’il ne faut pas reconnaître notre faute dans cette erreur. Pourtant, expliquer les raisons de cette défaillance n’est pas contraire à la reconnaissance de notre responsabilité : évidemment que nous sommes responsables mais la situation générale de la Justice n’explique-t-elle pas pour grande partie la bévue ? Reste que d’un coup un événement judiciaire efface toute la mobilisation des magistrats. Coïncidence ? En tout cas c’est dommage ...

24 octobre 2008 : deuxième ratage judiciaire : un violeur prend la fuite en Cour d’Assises

Il y a des faits divers dont on peut se demander pourquoi les médias s’en emparent. L’exemple le plus frappant est la fuite en cours d’audience devant la Cour d’Assises d’un futur condamné. Depuis 2000, les accusés libres ou sous contrôle judiciaire n’ont plus à se présenter à la maison d’arrêt la veille de leur comparution devant la Cour d’Assises. C’est l’application du principe de la présomption d’innocence. La Cour d’Assises peut imposer le placement en détention de la personne si sa situation le justifie. Pendant le délibéré, la personne est gardée par les gendarmes dans l’attente du verdict. Pendant l’audience elle est libre de ses mouvements. En l’espèce, elle disparaît après avoir entendu les réquisitions de l’Avocat Général. En quoi la justice est elle fautive ? Médiatiser ce dossier n’est ce pas véhiculer l’idée que les violeurs doivent comparaître détenus devant la Cour d’Assises, bref tout le contraire des conclusions tirées du scandale d’Outreau ? Finalement, il faut comprendre que si la personne est coupable, la détention provisoire se justifie. Sinon, elle doit être bannie. Or la personne est présumée innocente, alors comment faire ? Parler de cette affaire c’est attaquer encore une fois l’irresponsabilité des juges et véhiculer l’idée d’une justice laxiste et finalement criminogène. Les médias ont donné la parole à l’avocat de la victime qui reconnait elle même qu’il n’y a eu aucune faute. C’est un début. Alors pourquoi on en parle ?

27 octobre 2008 : blog de Jean-Michel APATHIE

Monsieur Jean-Michel APATHIE est chroniqueur sur RTL et gère un blog sur internet. Le 27 octobre il prend position pour exprimer son exaspération concernant l’absence d’action de la justice pendant quinze ans sur les nombreuses disparitions dans un triangle entre Macon, Chalon sur Saone et Monceau Les Mines. Il dit son indignation en des termes très forts sur l’irresponsabilité des juges de ne pas avoir auparavant effectué des analyses ADN. Pourtant les journaux télévisés ont parlé de cette affaire en se félicitant de la bonne nouvelle de pouvoir enfin relancer l’enquête sur ces meurtres grâce à ces expertises ADN. Monsieur APATHIE met l’accent sur l’irresponsabilité des magistrats. Sa réflexion laisse entendre que dans les années 80 il était envisageable de faire de telles analyses et que donc les magistrats ont encore une fois mal fait leur travail, parlant même de « protection particulière » ou de « grave insuffisance professionnelle ». Or, en se remettant à l’époque, les expertises ADN n’existaient pas ou à peine et les scellés n’avaient pas besoin d’être préservés puisqu’ils étaient inexploitables. Pourquoi n’en parle-t-il pas ? Pourquoi prend-il la parole d’après un article du Parisien sans même avoir fait la moindre recherche sur le sujet ? Peut il en tant que journaliste prendre de telles conclusions sans être exhaustif ? L’explication tient peut être en une phrase : (cette histoire) « s’est perdue dans l’avalanche d’informations judiciaires au moins aussi noire que les informations économiques ». La comparaison est lancée et laisse bien entendre l’objectif de Monsieur APATHIE : apporter sa pierre à la description d’une justice irresponsable en exploitant les affaires moins médiatiques histoire de dire que le ratage est partout !

28 octobre 2008 : blog de Jean-Michel APATHIE

Monsieur APATHIE fait tout un papier sur l’absence du syndicat USM lors de l’émission de ce matin sur RTL, critiquant les « obligations anciennes et incontournables » du Président et du Secrétaire Général de l’USM s’excusant de leur absence. A la lecture de son papier, il laisse entendre que l’USM s’est dérobée afin d’éviter des questions gênantes sur ses rapports avec le pouvoir (l’absence de l’autre syndicat des magistrats (le SM) à cet entretien avec le Président de la République explique-t-il le ton conciliant de l’USM au sortir de cet entretien ?). Monsieur APATHIE joue la carte de la division syndicale et sème le trouble quant aux objectifs de l’USM. Si cette absence à cette émission peut être regrettable, Monsieur APATHIE devrait savoir qu’il existe de nombreux magistrats de « base » qui sont aussi susceptibles d’intervenir dans les médias pour exposer « les problèmes des magistrats en France ». Bien sûr, il ne peut s’agir pour ces magistrats de rentrer dans un jeux de polémiques. Le débat sur la Justice a besoin de pédagogie et non de démagogie ...

Conclusion...

Plusieurs conclusions sont à tirer de cette semaine de « yoyo » médiatique :

Tout d’abord, l’indépendance de la Justice et la responsabilité des magistrats sont constamment opposées l’une à l’autre. L’indépendance des magistrats telle que revendiquée n’existe pas puisqu’il suffit d’être reçu par le Président de la République pour ne plus avoir rien à dire et si elle existe elle fait peur puisque les magistrats sont irresponsables. Nous devons expliquer que l’indépendance de la Justice n’est pas là pour dédouaner les magistrats de leur responsabilité. Nous devons par conséquent accepter l’idée de parler de notre responsabilité et de son appréciation en fonction des moyens de la justice (obligation de moyens ou de résultats ?). Nous devons revendiquer notre responsabilité comme garantie pour le justiciable et non comme un outil de politique pénale. Nous devons constamment reprendre le discours médiatique afin d’en expliquer la part de fantasme et l’opposer à la réalité.

Ensuite, c’est notre capacité à communiquer qui est à revoir. Celle-ci, ce n’est pas nouveau, est très négative. Les collègues qui interviennent dans les médias ne représentent parfois qu’eux mêmes (pas tous bien sûr mais certains ...) et lorsqu’on n’intervient pas, on a tort car on n’est pas à la disposition des médias. Nous n’arrivons plus à nous faire entendre lorsqu’un fait divers met en cause le fonctionnement de l’institution et notre action s’ébranle dès qu’un fait divers intervient. Les magistrats doivent reprendre leur liberté de parole, dans le respect de leur devoir de réserve, afin de défendre l’Etat de Droit. L’image de la justice est négative. La confiance de nos concitoyens dans cette justice est quasi nulle. Nous devons expliquer par tous les moyens le fonctionnement de la Justice au citoyen afin de restaurer cette image et nous devons faire valoir notre différence vis-à-vis du discours politique actuel qui affiche ce même objectif.