Association des Jeunes Magistrats (AJM)
http://www.jeunesmagistrats.fr/v2/Je-suis-devenu-magistrat-et.html
Engagez-vous ! Je suis devenu magistrat, et aujourd’hui je ferais le même choix
jeudi, 3 octobre 2013
/ Un jeune magistrat parmi d’autres /

L’AJM utilise cette signature pour diffuser une opinion personnelle d’un de ces adhérents, qui ne représente pas nécessairement un avis partagé par tous...

Bien sûr, ce n’est pas la Seine,

Ce n’est pas le bois de Vincennes,

Mais c’est bien joli tout de même,

A Göttingen, à Göttingen.


Bien sûr, il y a le manque de moyens, qui participe bien souvent à rendre la Justice injuste, qui retarde le placement d’enfants en danger, qui empêche la prise en charge des condamnés, qui renvoie à plusieurs mois l’audience du juge aux affaires familiales qui doit statuer sur votre divorce, ou celle des magistrats qui devront trancher sur l’indemnisation des victimes d’un accident de la circulation...

Bien sûr, il y a la critique souvent peu amène des responsables politiques et médiatiques, les premiers oubliant que nous n’appliquons que leurs lois avec le budget qu’ils votent, les seconds prenant rarement la peine de comprendre le système légal dans lequel la société se développe...

Et lorsque viendra le jour où, par hasard, vous aurez le malheur de voir l’affaire que vous traitez, être médiatisée, décortiquée, transformée, chacun donnant son avis sans connaître ni le fond de votre dossier ni même les textes de lois applicables, et où vous serez vilipendés pour vos choix, pourtant fondés sur les lois de la République, mais pour lesquels vous serez le malheureux bouc-émissaire, vous resterez isolé...


Bien sûr, tout cela est la réalité de ce que nous visons, mais...


... Mais il ne faut pas oublier que notre quotidien est d’intervenir dans des situations litigieuses, et pour lesquelles nous apportons des solutions.

Des affaires civiles qui opposent les particuliers au quotidien, pour déterminer si des loyers étaient dus ou un bail résilié. Des agriculteurs qui se débattent avec leurs dettes pour parvenir à survivre et protéger leur culture et la nôtre. Des salariés exploités ou des entreprises exsangues.

Des affaires pénales pour déterminer si des infractions sont constituées, et surtout apprécier la juste peine, qui à la fois protégera la société, préservera la victime, et favorisera la réinsertion du condamné en fonction de la gravité du délit qui a été commis. Où l’on découvre que le délinquant n’est pas, le plus souvent, le dangereux agresseur décrit chaque jour, mais qu’il est en général un pauvre hère à la dérive dans une société qui ne lui donne pas sa place, qu’il faudra évidemment sanctionner pour ses actes, mais aussi ensuite accompagner pour lui donner les moyens de ne pas recommencer.

Des affaires de famille, de couples déchirés, de parents dépassés, d’enfances brisées, où vous tentez de ramener une norme sociale, l’idée d’un “vivre ensemble”, l’image d’une société où chacun doit avoir sa place, et finalement un discours rationnel face à des êtres émus et parfois aveuglés par leurs blessures.

Chaque fois, le magistrat est appelé pour arbitrer, dans l’esprit des gens, ce qui est juste, et dans réalité, ce qui est légal (ce qui donne souvent lieu à des malentendus entre les citoyens et les juristes, alors que l’ordre juste dépend d’abord des choix politiques opérés par le Législateur et le gouvernement). Le magistrat est un homme, une femme, à qui est confié l’ordre social, la possibilité de rétablir le droit dans des litiges, et qui permet d’apporter sa contribution personnelle à la paix de la société, quoique toute décision fasse toujours au moins un malheureux, auquel on donnera tort.

... Mais il ne faut pas oublier que si nous nous plaignons toujours du manque de moyens dont nous souffrons, parfois même de revenus que certains trouvent insuffisants (compte tenu du bagage intellectuel et des études nécessaires à notre formation et des contraintes de travail auxquelles nous sommes soumis), le magistrat perçoit des ressources qui lui sont versées régulièrement, sans aléa, et qui le placent rapidement dans la classe moyenne supérieure, loin de la lutte auxquelles sont soumis les avocats pour leur comptabilité et la quête d’une clientèle solvable, qui rend leur situation pécuniaire beaucoup plus aléatoire.

... Mais il faut rappeler que nos fonctions sont variées et nous interdisent toute routine professionnelle : le magistrat peut être nommé procureur, chargé des poursuites pénales et de mille autres compétences, juge des enfants pour contrôler les mineurs délinquants tout comme protéger les plus jeunes en danger, juge des affaires familiales statuant sur les divorces, juge des litiges civiles ou du tribunal correctionnel, juge de l’application des peines chargé du suivi des condamnés, juge des tutelles, des baux ruraux, départiteur au conseil de prud’hommes, etc.. Au fil du temps, le magistrat pourra, selon ses choix, occuper différents postes, mais aussi traverser la France entière en quête de nouveaux territoires... Combien de fonctions permettent une telle diversité dans la carrière, en conservant le même emploi et son ancienneté ?

... Mais il y a le statut de magistrat, et l’indépendance sur laquelle il faut apprendre à s’appuyer au quotidien, tout en étant conscient de la responsabilité et de la rigoureuse honnêteté intellectuelle qu’elle implique. Des pressions peuvent parfois survenir de manière indirecte, sous la forme de conseils professionnels que les uns et les autres peuvent donner ; il y a toujours les réquisitions et plaidoiries qu’il faut à la fois entendre mais en appliquant une analyse critique ; il y a encore et surtout les préjugés qui habitent chacun, dont il faut se départir pour défendre la société plutôt que ses idées ; l’indépendance, c’est une autorité qui vous est conférée, mais aussi une responsabilité dont vous avez la charge.


Alors je dénonce notre impossibilité à répondre correctement à chacune de nos missions, je dénonce le manque de considération que nous avons pour le justiciable en raison de la cadence infernale que les stocks de dossiers nous obligent à adopter, je dénonce le regard que la société porte sur notre action quand le plus souvent nous tâchons de la mener au mieux et sans moyen, je dénonce ceux qui conçoivent des textes de lois seulement pour que la politique retienne leur nom, et auxquels il nous faudra donner un sens applicable à la réalité des situations que nous percevons, je dénonce l’absence de collègues, de greffiers, de partenaires, de dialogues, de temps, de reconnaissance, mais chaque jour je me lève motivé et heureux d’être un rouage de notre institution judiciaire.