Association des Jeunes Magistrats (AJM)
http://www.jeunesmagistrats.fr/v2/LETTRE-OUVERTE-A-MONSIEUR-LE.html
Lettre ouverte à Monsieur le Directeur de l’ENM et à Maître Eric Dupond-Moretti
lundi, 4 septembre 2017

Monsieur le Directeur, Maître,  

L’intérêt des lettres ouvertes est de permettre aux observateurs extérieurs de prendre connaissance de conversations dont le contenu, par la portée des thèmes abordés, dépasse le simple échange épistolaire. Permettez donc à un tiers de se joindre à la discussion.   Maître Dupond-Moretti, vous dénoncez dans votre lettre les comportements individuels de magistrats, jeunes et moins jeunes qui, à un moment ou à un autre, ne se seraient pas montrés dignes de leurs fonctions. Vous avez raison de le faire. Toujours, il nous faut douter, questionner notre rôle, nous remettre en question. Car sinon, nous serions perdus pour la Justice. Bien sûr, il serait certainement possible d’évoquer en miroir les comportements individuels de tel ou tel avocat ayant manqué de la grandeur nécessaire à l’exercice de sa mission. Mais tout ceci serait vain, tant il ne sert à rien de distribuer bons et mauvais points.   En réalité, magistrats comme avocats, nos fonctions sont plus grandes que nous. Elles nous obligent. Les femmes et les hommes qui les incarnent sont le fruit d’histoires individuelles, ils ont leurs qualités et leurs défauts, leurs grandeurs et leurs faiblesses. Nos robes sont et seront toujours plus grandes que nous. En définitive, en paraphrasant Beaumarchais, on pourrait dire, « aux vertus qu’on exige des acteurs de la justice, votre Excellence connaît-elle beaucoup de personnes qui fussent dignes d’être magistrats ou avocats ? ».   Vous évoquez des tensions entre magistrats et avocats, une tentation de « l’enclavement » des juges. Peut-être sommes nous ensemble, magistrats et avocats, pour partie responsables de certaines situations de durcissement. Peut-être devons nous contribuer ensemble à un décloisonnement qui ne peut qu’aller dans le sens d’une plus grande justice. Mais nous ne pouvons pas vous rejoindre quant à ce que vous analysez comme la source de ces tensions.    Entendons nous bien. L’École Nationale de la Magistrature n’est pas parfaite. Le recrutement, la formation initiale, l’organisation de la scolarité, l’articulation entre cours théoriques et stages pratiques... sont susceptibles d’améliorations. De même, le statut de l’auditeur de justice et sa place dans l’institution judiciaire – tant à l’école qu’en stage – sont certainement perfectibles. Pour autant, le fruit n’est pas vicié. Et s’il est une chose que l’on ne peut reprocher à l’ENM, c’est bien de sans cesse évoluer pour tenter de construire la scolarité la mieux à même de former le plus efficacement possible les magistrats de demain, au service des citoyens.

Non, l’Ecole Nationale de la Magistrature n’encaste pas. Non, elle ne donne pas de sentiment d’entre-soi. Non, elle n’initie pas et ne nourrit pas cette « bureaucratie judiciaire » que vous décriez. C’est même tout le contraire. L’ENM ouvre sur le monde. Elle force au questionnement. Elle développe la culture du doute systématique, de la remise en cause permanente. L’École Nationale de la Magistrature est une grande école de la République. Elle apprend à faire sienne la maxime latine, audi alteram partem (entends l’autre côté), et ce tout particulièrement lorsqu’elle invite l’auditeur de justice pendant sa formation initiale et le magistrat pendant sa formation continue à rencontrer d’autres partenaires. Elle « dé-formate » l’élève-magistrat, lui apprend à se départir de ses idées préconçues, et l’arme juridiquement et déontologiquement pour ses futures fonctions. Nous pouvons ainsi l’affirmer avec force : si les magistrats sont perfectibles, l’ENM n’en est pas la cause mais l’une des solutions.   En vous remerciant pour la qualité de vos échanges respectifs, nous vous prions de croire, Monsieur le Directeur, Maître, en l’assurance de notre profond respect.

L’Association des Jeunes Magistrats 


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• Lettre ouverte de l’AJM, (PDF - 72.8 ko)