Association des Jeunes Magistrats (AJM)
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Enjeux et perspectives de la formation initiale des magistrats : La reforme de la scolarite operee par l’ENM
mardi, 25 septembre 2007
/ Marie-Pierre Coquel /

substitut à Fontainebleau, promotion 2005

La loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats a instauré deux mesures phares pour répondre au traumatisme engendré par l’affaire d’Outreau dans l’opinion publique :

* l’ouverture plus large du recrutement aux candidats bénéficiant d’une expérience professionnelle antérieure (article 18-1, 2ème et 3ème concours) ;

* l’allongement du stage avocat à une durée de 6 moiS

Lors du Conseil d’administration de l’ENM du 3 juillet 2007, la Direction de l’Ecole a proposé un nouveau séquençage de la formation initiale prenant en compte ces deux impératifs, projet qui a été voté à la majorité des voix (6 voix contre représentant les 6 ADJ présents, et 3 voix consultatives contre, représentant les 3 syndicats) sous réserve des points ci-dessus proposés par le Premier Président de la Cour de cassation, après proposition des délégués des promotions 2005, 2006 et 2007 :
- mise en place d’une évaluation annuelle du projet pour améliorer, le cas échéant, ce nouveau séquençage ;
- moratoire sur ses incidences matérielles sur le traitement des ADJ (éléments qui seront évoqués lors du prochain CA).

L’AJM regrette qu’en amont aucune concertation n’ait pu réellement se mettre en place concernant ce vaste chantier. Une seule réunion en mars 2007, dite d’information, avait réuni les délégués des auditeurs. Aucune autre date n’a été fixée par la suite.

Par ailleurs, le Conseil d’administration de l’ENM ne prévoit aucune garantie de représentation objective des jeunes magistrats. En effet, il existe bien un représentant des jeunes magistrats, mais qui ni ne consulte ni ne rend compte, et donc ne représente pas les jeunes magistrats.

C’est pour cela que l’AJM souhaite être représentée au Conseil d’administration de l’Ecole, pour faire le lien entre les auditeurs de justice et les magistrats bénéficiant d’expérience, car nous estimons que notre regard sur la justice, neuf et déjà en prise avec la réalité judiciaire, nous donne droit à un véritable espace de parole et de concertation.

La nouvelle formation initiale se découpe désormais comme suit :

A – LES SEQUENCES PEDAGOGIQUES à compter de la promotion 2008

- Accueil : 1 semaine (ENM Bordeaux)

- Stage de découverte du TGI : 2 semaines (domicile de l’auditeur de justice)

- Période d’études : 29 semaines (ENM Bordeaux)

- Stage avocat : 21 semaines

- Stage juridictionnel : 41 semaines 8 semaines parquet 7 semaines siège TGI 6 semaines instruction 6 semaines instance 5 semaines application des peines 5 semaines enfants 1 semaine administration pénitentiaire (en qualité de surveillant) 1 semaine police ou gendarmerie 1 semaine greffe 1 semaine auprès des chefs de juridiction (ce stage nouveau sera de nature à compléter l’enseignement relatif à l’organisation judiciaire et l’économie de la justice)

- Choix des postes : 3 jours (ENM Paris)

- Période de spécialisation : 4 semaines ½ (ENM Paris)

- Stages extérieurs de spécialisation : 3 à 5 semaines (ce stage nouveau qui se substitue au stage extérieur de début de formation doit permettre au futur magistrat de mieux connaître des partenaires ou des problématiques propres à sa future fonction). Ces stages se dérouleront essentiellement au lieu du stage de pré-affectation Substituts (5 semaines) : 2 semaines auprès du directeur de cabinet d’un Préfet, une semaine de sensibilisation au maintien de l’ordre (centre de la gendarmerie nationale de Saint Astier), une semaine dans un service régional de police judiciaire de la police nationale, une semaine dans une section recherche de la gendarmerie nationale Juges TGI : Juges d’instance (5 semaines) : deux semaines auprès d’une structure départementale de l’UDAF, une semaine auprès d’un huissier de justice, une semaine auprès d’un notaire, une semaine auprès d’un service de surendettement de la Banque de France Juges d’instruction (5 semaines) : trois semaines auprès d’un service régional de police judiciaire et d’une section de recherche de la gendarmerie nationale, deux semaines auprès d’un expert comptable Juges de l’application des peines (5 semaines) : deux semaines auprès d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation, une semaine auprès de la direction d’une maison d’arrêt, une semaine auprès d’une maison centrale, une semaine au centre national d’observation de Fresnes Juges des enfants (3 semaines) : une semaine auprès du service d’aide sociale à l’enfance du Conseil Général, une semaine auprès d’un service accueillant les mineurs suivi en assistance éducative de type « sauvegarde », une semaine dans une structure pénale de type centre éducatif fermé, centre éducatif renforcé ou établissement pour mineurs Juges placés (3 semaines) : choix parmi les stages prévus pour les juges

- Stage de pré affectation : 11 semaines (dont deux semaines de stage à la Cour d’Appel comprenant une visite du service administratif régional)

LE POSITIONNEMENT DU STAGE AVOCAT DANS LA SCOLARITE

Après la période d’études à Bordeaux.

les six fonctions de base seront appréhendées dans trois phases pédagogiques complémentaires : période d’étude, stage avocat puis stage juridictionnel La question n’est pas tranchée définitivement quant à son lieu d’exercice. L’ENM propose de l’effectuer ailleurs que sur le lieu de stage juridictionnel pour des questions déontologiques.

Nous considérons qu’outre les frais engendrés pour les ADJ, la mise en place du stage avocat perdrait tout son intérêt si elle ne permettait pas précisément l’appréhension des difficultés que posent la « cohabitation » des parties, les interférences Parquet-Siège-avocat, et la critique constructive des pratiques professionnelles des magistrats.

LA PREPARATION AU STAGE AVOCAT

Cette préparation centrée sur les « fondamentaux » du métier d’avocat utilisera deux formats pédagogiques, la direction d’étude et la conférence :

8 Directions d’études (3 heures) : L’organisation et la gestion des cabinets / Les honoraires Client et responsabilité / Déontologie de l’avocat Procédures de droit commun Procédures d’exception Rédaction d’actes / Techniques de consultation Techniques de plaidoiries Gestion des incidents d’audience Médiation / arbitrage

Les directions d’études seront élaborées et mise en œuvre par des avocats en liaison avec le CRFPA de Bordeaux. Un « collaborateur » avocat sera recruté fin 2007 par l’ENM pour assurer la supervision pédagogique et la coordination du dispositif (il assurera en outre la coordination de l’accueil des élèves avocats à l’ENM).

Conférences (2 heures) : Exemples de conférences figurant au programme pédagogique de l’EFB : La connivence ou la rupture – Maître LEF FORSTER L’audience en défense – Maître Jean Yves LE BORGNE L’audience en partie civile – Maître Francis SPIZNER ou d’autres conférences qui pourraient être envisagées : L’avocat et la presse – Maître Pierre Olivier SUDRE La cross examination – Maître Christophe AYELA

Les conférences seront élaborées et mises en œuvre en liaison avec l’EFB de Paris.

Ces enseignements pourront être complétés par des exercices de simulations de plaidoiries qui seront faits à l’occasion des simulations d’audiences correctionnelles figurant déjà au programme pédagogique de l’Ecole.

Le volume horaire consacré à cette préparation pourrait donc être compris entre 30 et 40 heures (hors simulations).

LA MISE EN ŒUVRE DU STAGE AVOCAT

Au cours du stage, l’auditeur de justice demeurera tenu par ses règles statutaires. Il sera également tenu par les règles et usages du barreau

Il apparaît opportun qu’un seul auditeur de justice soit présent en même temps au sein d’un même cabinet d’avocat sauf exception justifiée par la taille du cabinet (plus de vingt avocat associés ou salariés par exemple). Dans ce cas les auditeurs se verront affecté à des maîtres de stage différents.

Le stage se déroulera auprès d’un seul maître de stage référent dont l’auditeur aura la qualité de « collaborateur ». Aucune rémunération ou gratification ne sera remise à l’auditeur de justice qui conservera son traitement versé par l’Ecole.

LE CONTENU DU STAGE AVOCAT

Le stage avocat de six mois qui sera accompli par les auditeurs de justice sera réalisé « comme collaborateur d’un avocat inscrit au barreau » plutôt « qu’auprès d’un barreau » comme la loi organique le permet. Cette notion juridique de collaborateur donne à l’auditeur la capacité d’exercer l’ensemble des actes dévolus à l’avocat. La latitude laissée au stagiaire sera fixée par l’avocat maître de stage au cas par cas et en fonction de l’évolution du stagiaire.

Une convention cadre établie entre l’ENM et le Conseil National des Barreaux viendra définir le contenu et les modalités générales du stage avocat des auditeurs de justice.

L’auditeur « collaborateur » de l’avocat maître de stage devra pouvoir appréhender le rôle de l’avocat à tous les stades : Réception de la clientèle Mise en forme du dossier Rédaction d’actes (conclusions, conventions, contrats…) Plaidoiries (devant l’ensemble des juridictions à l’exception de la Cour d’Assises) Assistance aux opérations d’expertise Permanence pénale majeurs et mineurs (avec le maître de stage ou par l’inscription sur la liste de permanence) Exécution des décisions Fixation des honoraires Gestion du cabinet

Le stage avocat des auditeurs de justice sera évalué sur la base d’une grille qui sera annexée à la convention cadre qui sera élaborée avec le Conseil National des Barreaux. Cette grille, contradictoire, qui sera renseignée à mi-stage et en fin de stage sera transmise au Bâtonnier de l’ordre, au directeur de centre de stage ainsi qu’à la sous direction des stages de l’Ecole.

B – LIEU DE LA PRE-AFFECTATION

Il peut être relevé que le positionnement du stage avocat implique la présence dans les locaux de l’ENM de deux promotions de manière concomitante. Cette difficulté organisationnelle trouvera sa solution dans un positionnement de la période de spécialisation à l’ENM Paris : Mise à disposition des locaux pendant 5 semaines (dont une ½ semaine de choix des postes) Les chargés de formations permanents de l’Ecole assureront la coordination pédagogique de la période de spécialisation qui pourra au besoin être mise en œuvre par un recours à des magistrats « collaborateurs » directeurs de sessions (sur le modèle de la formation continue) comme cela est déjà le cas actuellement pour certaines fonctions La visite des Cours suprêmes françaises (Cour de cassation, Conseil d’Etat, Conseil Constitutionnel et Cour des Comptes) pourra être plus facilement organisée à cette période

ORGANISATION DE LA PERIODE DE SPECIALISATION A L’ENM PARIS

La mise en œuvre de la période de spécialisation à l’ENM Paris (solution ayant eu court dans le passé) nécessitera une organisation adaptée afin d’en assurer le parfait déroulement. A cette fin : Des locaux supplémentaires seront loués à proximité de l’ENM Paris (convention en cours avec IPESUP) afin de permettre le travail en petits groupes qui sera favorisé Le Directeur de la formation initiale ou le sous directeur des études seront présents afin d’assurer la supervision organisationnelle Trois fonctionnaires (du service des concours déjà affectés à l’ENM Paris) seront affectés au suivi de cette période de formation durant cinq semaines. Ils recevront à cet effet une formation spécifique La confection des documents pédagogiques sera assurée à Bordeaux pour les supports dématérialisés et à Paris pour les documents reprographiés Un chargé de formation permanent de l’Ecole par fonction sera chargé d’assurer la coordination pédagogique de cette période de formation. Il pourra s’il le souhaite être présent à l’ENM Paris durant cette période Des magistrats de juridiction « collaborateurs » seront au besoin recrutés en qualité de directeurs de session

TRAVAIL DES CHARGES DE FORMATION PERMANENTS

A compter de 2008, la période d’enseignement direct des chargés de formation sera réduite par rapport à la situation actuelle. Une coupure sera faite en effet entre le début octobre (départ de la promotion après la période d’études) et la mi- février de l’année suivante (arrivée de la promotion entrante pour la période d’étude).

Cette coupure plus longue sera de nature à permettre aux chargés de formation permanents de l’Ecole d’avoir un temps plus important (la situation actuelle n’étant pas satisfaisante à cet égard) pour : Faire de bilan de la période d’études (avant la présentation du programme pédagogique de la promotion suivante au Conseil d’Administration en fin d’année) Préparer les séquences pédagogiques suivantes Actualiser les fascicules et rechercher la documentation pédagogique Organiser la coordination avec les magistrats « collaborateurs » Se rendre dans les juridictions afin d’étudier la mise en œuvre des réformes récentes

NOS OBSERVATIONS :

La formation des magistrats a changé tant par la loi du 5 mars 2007 que par la décision du Conseil d’Administration de l’Ecole Nationale de la Magistrature en date du 3 juillet 2007. Le séquençage initial est modifié, le stage extérieur est supprimé, le stage avocat passe de deux à six mois, et la période de formation de spécialisation se déroule désormais à Paris.

Avant cette réforme, la formation des magistrats à l’Ecole Nationale de la Magistrature était organisée comme suit :
- une semaine d’accueil à Bordeaux et prestation de serment,
- deux semaines de stage découverte en juridiction,
- six semaines de stage extérieur auprès d’associations, administrations, entreprises, organisations internationales,
- huit mois de formation à Bordeaux,
- un an et demi de stage juridictionnel entrecoupé de deux semaines de stage pénitentiaire, deux semaines en police et gendarmerie, une semaine auprès d’un huissier de justice,
- examen de sortie
- deux mois de stage avocat,
- six semaines de formation de spécialisation,
- trois mois de stage de pré affectation.

L’AJM se félicite de la mise en place d’un stage avocat qui permet de mieux apprécier les enjeux de l’exercice des droits de la défense. Ce travail en commun entre avocats et futurs magistrats est d’autant plus intéressant qu’il est précédé par un travail commun en amont, lors de la période bordelaise, où des directions d’étude communes ont lieu entre futurs avocats et futurs magistrats sur des thèmes aussi sensibles que l’éthique, la déontologie, mais aussi moins transversaux mais qui permettent à chaque corps d’appréhender les faces méconnues du métier de l’autre (les honoraires, le coût des expertises judiciaires, notamment…).

Cependant, l’AJM rappelle qu’un tel stage existait déjà dans le séquençage antérieur de la formation initiale pour une durée de 2 mois. Ce stage méritait sans doute d’être amélioré notamment en raison de son chevauchement avec l’examen de sortie, mais cette durée nous semblait cohérente au regard de la totalité de la formation.

La formation initiale du magistrat n’est pas extensible et il faut accepter que la répartition de temps de formation dévolue à chaque apprentissage corresponde à la nécessité de former un magistrat compétent, mais aussi capable d’appréhender la réalité sociologique de son temps et d’adopter la réflexion et le recul nécessaire à sa fonction.

L’instauration d’un stage avocat de 6 mois ne répond que de manière imparfaite à une véritable question de fond qui mérite d’être posée et débattue : doit-on être avocat avant d’être magistrat ? Ainsi d’autres solutions auraient pu être retenues par le législateur comme l’obligation d’avoir le CRFPA pour être candidat à l’ENM ou la nécessité de valider un stage de 6 mois ou 1 an avant de passer le concours, ou encore imposer l’exercice effectif de la profession d’avocat pendant une certaine durée. Cette réforme aboutit donc à un déséquilibre important et tout aussi grave de la formation des magistrats.

Comment comprendre, en effet, que désormais, un futur magistrat passera un quart de sa formation à rédiger des conclusions d’avocat et à plaider, alors qu’il n’aura passé que six semaines à rédiger des jugements civils ? ? ?

Comment peut-on décider de supprimer le stage extérieur, stage d’une durée de 6 semaines qui permettait à l’auditeur de découvrir un autre environnement, l’association (pour moitié d’entre eux), l’entreprise, une organisation internationale, d’autres administrations, mais aussi de diffuser ce qu’est la justice française ?

Comment concevoir aujourd’hui une justice moderne en supprimant ces milliers de contacts partenariaux ? ? Le corps judiciaire a vocation à être mobile et se doit de nouer des contacts extérieurs.

Aujourd’hui, la disparition du stage extérieur au profit de 5 semaines de découvertes cantonnées au milieu judiciaire, et sans tronc commun à l’ensemble des auditeurs, ne pallie en rien à la disparition de ce qui reste à notre sens la bouffée d’oxygène qui ancre le magistrat en formation dans une réalité enrichissante.

Par ailleurs, nous regrettons infiniment qu’un certain nombre de questions sous-jacentes n’aient pas été posées.

Quelles seront les conditions matérielles et d’évaluation pédagogiques du stage avocat ?

N’instaure-t-on pas une compétition déloyale avec les avocats stagiaires, dès lors que nous ne sommes pas rémunérés par les cabinets mais par le contribuable français durant ces 6 mois ?

Enfin, d’un point de vue déontologique, le stage avocat perdrait tout intérêt à s’exercer ailleurs que sur le lieu du stage juridictionnel puisque dès lors, les questions sensibles de l’interaction magistrat/avocat ne seraient plus envisagées sous le même angle.

Certains points d’organisation consécutifs à cette réforme nous laissent aussi perplexes. La pré-affectation, par exemple, aura désormais lieu à Paris, en l’absence de nos professeurs, les chargés de formation…et sera effectuée sans doute dans les locaux d’IPESUP, la préparation privée au concours, gage d’égalité entre les candidats s’il y a … !

Autant de questions que la réforme opérée en solo par la Direction de l’ENM ne soulève pas, ou plutôt, élude. La nomination d’un nouveau Directeur, au profil international, nous laisse espérer que les enjeux d’une justice moderne et ouverte sur le monde ne seront pas sacrifiés sous l’autel d’ impératifs politiques à court terme.

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