Billets d’humeur

Assis, Debout, mais pas Couchés ?

Le 14 janvier 2010, l’Association des Jeunes Magistrats (AJM) participait avec toutes les organisations syndicales et associatives de magistrats et les Etats Généraux de la Justice Pénale (EGJP, composés de magistrats, avocats, greffiers, fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse et de la pénitentiaire, et policiers) au rassemblement organisé sur les marches du palais de Justice de Paris, pour l’audience solennelle de la Cour de Cassation.

L’objectif de cette contre rentrée judiciaire était de manifester l’inquiétude des professionnels de la justice quant au manque de moyens et leur attachement à l’indépendance dans un contexte de réformes de la procédure pénale et d’annonce de la suppression des juges d’Instruction.

Les magistrats de Paris étaient invités à suspendre leurs audiences, des pancartes rappelaient les mots d’ordre et les participants reprenaient le slogan du jour « assis, debout mais pas couché » : assis pour les magistrats du siège, les juges ; debout, pour les magistrats du parquet, les procureurs ; et pas couché car il ne peut pas y avoir de Justice sans Indépendance.

Après les discours de la représentante des EGJP, des trois syndicats, et des représentants des auxiliaires de Justice (notamment le syndicat des avocats de france, les syndicats de la PJJ et de la pénitentiaire), la Justice, accompagnée d’un magistrat et d’un avocat, suivie des manifestants, a tenté de se rendre à la Cour de Cassation pour remettre à Monsieur le Premier Ministre la pétition des EGJP pour une Justice Indépendante et Démocratique – Contre la suppression du Juge d’Instruction (qu’on retrouve sur www.egjp.org ).

Reçus uniquement par un conseiller de la Ministre d’Etat, la délégation a refusé de transmettre les doléances des manifestants. Empêchés par les gendarmes de se rendre à la Cour de Cassation, les participants ont tenté de franchir les barrières.

Commencé vers 15 heures, le rassemblement s’est terminé vers 16 heures 30,

Fort de 300 à 400 personnes selon la presse, mais 280 selon la préfecture de police, le rassemblement plus important que celui de l’année dernière était pour la première fois unitaire, organisé et structuré. C’est, de notre point de vue une réussite.

Mais est-ce un succès ?

Le lendemain, le constat est un brin amer. Peu de presse à part Libération, l’Humanité et 20 Minutes, peu de photos malgré la scénarisation du rassemblement et peu d’images à la télé. Heureusement qu’internet, via L’express.fr et Bakchich ont relayé un peu la manifestation. Bien sûr, l’actualité (le tremblement de terre en Haïti) explique peut être en partie la faible médiatisation de l’événement.

La Ministre d’Etat enfonce le clou sur France Info dès le 15 janvier. Afin de minimiser le mouvement elle déclare que seules 250 personnes étaient présentes à Paris contre 21000 magistrats et avocats que compte le tribunal. Bien sûr, elle ne dit pas que sur ces 21.000 personnes, il y a 20.000 avocats et que parmi eux la plus grande majorité ne viennent jamais au tribunal car étant soit juristes d’entreprise soit faisant du conseil. Mais passons.

Reste qu’en effet, on aurait pu espérer que toute la cour du palais de justice soit pleine de manifestants. C’est que pour la première fois, toutes les organisations syndicales et associatives de magistrats appelaient à y participer. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette relative mobilisation.

Déjà, l’organisation d’un tel rassemblement co-organisé par les syndicats, les associations de magistrats et par les Etats Généraux de la Justice Pénale n’est pas une chose aisée. Sans compter les multiples raisons qui font que l’unité actuelle est exceptionnelle, la mise en oeuvre concrête de l’unité est plus facile lorsqu’elle se repose sur une structure légèrement extérieure et novatrice. La présence des EGJP et leur organisation de ce rassemblement nous a permis finalement de nous associer pleinement à cette journée sans craindre tout désaccord. L’inconvénient majeur de cette mise en retrait est qu’à contrario nous nous sommes peut être trop reposés sur eux et avons du coup moins mis à profit nos propres ressources. Ainsi, nous aurions pu adresser un communiqué commun à tous les magistrats en ce début d’année 2010 pour rappeler ce rassemblement.

Nous aurions pu aussi faire appel à nos partenaires et organisations professionnelles amies. Par exemple, l’AJM aurait pu solliciter plus en amont l’UJA pour l’associer pleinement au rassemblement. Bien sûr, il s’agissait d’une première étape et une première mobilisation uniquement des magistrats pouvait paraître intéressante. Cependant, la crainte du corporatisme aurait du nous pousser à dès le 14 janvier associer les organisations de greffiers, d’avocats, et autres. D’autant qu’à partir du moment où certaines organisations étaient présentes, les absentes ont toutes les raisons de s’interroger. Bien sûr, chaque organisation travaille avec ses partenaires privilégiés et on l’a bien vu lorsque dès le lendemain chaque organisation syndicale a annoncé des actions individuelles avec ses partenaires. Cependant la première occasion d’un rassemblement très large a peut être été manquée.

Mais plus encore, une des raisons de ce relatif succès peut être envisagée en nous-mêmes, de manière intrinsèque à notre profession. En effet, aurait il fallu pour que ce soit un grand succès médiatique renverser les barrières de la gendarmerie nous séparant de la Cour de cassation ? Force est de constater que l’action en elle même était impossible. Impossible car pas magistrat. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté des magistrats : nous sommes pris entre nos motivations et notre statut, pris entre notre volonté de montrer notre détermination et de faire exister notamment médiatiquement nos revendications, et notre devoir de réserve. D’ailleurs, à chaque conférence de presse, les journalistes nous reprochent la timidité de nos actions. Et c’est sur cette timidité que le pouvoir peut se reposer pour faire passer sans heurts ses réformes. Notre pire ennemi c’est notre respect de nous-mêmes ou de l’image de nous-mêmes. Pour certains, des magistrats qui distribuent des tracts contre la suppression des juges d’instruction c’est déjà outrepasser le devoir de réserve et la séparation des pouvoirs.

Alors, jusqu’où les magistrats sont ils prêts à aller ? Pas très loin, cela est sûr.

Seul un mouvement unitaire liant les magistrats, les avocats, les greffiers et tous les fonctionnaires de justice peut nous permettre de nous dépasser.

L’année dernière, l’AJM écrivait que « le vent se lève ». Aujourd’hui le vent a semé la colère. Mais pour que cette colère progresse, il nous faut de l’aide.

Ensemble, grâce à une structure comme les Etats Généraux de la Justice Pénale, nous pourrons soutenir la stricte application de la loi et faire qu’une journée au moins aucun Juge des Enfants ni un Juge aux Affaires Familiales ne prenne d’audience sans greffier comme ils le font chaque jour dans l’illégalité faute de moyens, qu’aucune audience correctionnelle ne se termine à des heures où le tribunal n’est plus raisonnablement en capacité de juger. Car la Justice ne fonctionne aujourd’hui que par la volonté des hommes et des femmes qui la vivent au quotidien. Ensemble, et pour le justiciable qui au final pâtit de notre capacité à accepter l’impossible, nous devons refuser ne serait ce qu’une journée de rendre la Justice dans des conditions indignes des droits de l’homme.

Rendez vous le 9 mars.

Interview des états généraux de la justice pénale

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