Juge d’instruction

Comité de réflexion sur la justice pénale

Comment concilier l’intérêt de la société, qui exige une répression rapide et certaine des infractions à la loi pénale, avec l’intérêt de l’individu et le respect de ses droits fondamentaux ?

= phase préparatoire fait l’objet du présent rapport, avant les phases décisoire et exécutoire du procès pénal. Les sept propositions qui suivent tendent à « stabiliser » durablement le droit. Elles sont fondées sur les principes directeurs énoncés par l’article préliminaire du CPP, tels qu’ils résultent de la loi du 15 Juin 2000, ainsi que sur la volonté :
- d’accroître le rôle du juge dans sa fonction de contrôle du bon déroulement de l’enquête, à l’occasion des conflits qui surgissent entre les acteurs du procès pénal.
- de renforcer les droits de la défense des personnes mises en cause et des victimes.
- de souligner que tout acte d’enquête et d’investigation mené par les magistrats et par la police judiciaire, doit être à charge et à décharge.
- de simplifier la procédure.

1ère proposition : Transformer le juge d’instruction en juge de l’enquête et des libertés, investi exclusivement de fonctions juridictionnelles

Opinion majoritaire du comité : 1) le JI est né et vit toujours dans l’ambiguïté de sa double fonction. Il cumule les fonctions d’un juge avec celles d’un enquêteur, il n’est pas totalement juge, et pas totalement enquêteur.
- il ne peut agir avec une stricte neutralité et n’est pas totalement un juge.
- l’instruction n’améliore ni l’efficacité de l’enquête, ni la protection des droits fondamentaux des mis en cause et des victimes 2) diversité actuelle des cadres d’enquête révèle une confusion des rôles illisible pour le citoyen. 3) Parquet est l’institution judiciaire la mieux adaptée à ce travail d’enquête en équipe de plus en plus nécessaire pour les affaires complexes ; sa nature ainsi que sa structure donnent aux magistrats la possibilité d’agir, avec la police judiciaire, selon des principes de hiérarchisation interne, d’indivisibilité et d’indépendance, et avec souplesse et réactivité.

Opinions dissidantes : 1) il n’y a pas lieu de modifier les règles existantes, en cours d’évolution, et qu’il faut expérimenter suffisamment la cosaisine ainsi que l’instruction par une formation collégiale, dont l’entrée en vigueur est prévue par la loi le 1er Janvier 2010. 2) des réformes en profondeur, à la suite de tant d’autres réformes récentes, risquent d’accroître l’insécurité juridique et peuvent manquer leur effet. 3) les fonctions juridictionnelles et d’enquête ne sont pas antagonistes, le statut du juge d’instruction constitue une garantie pour les enquêtes les plus complexes 4) un membre estime que le droit actuel peut être maintenu en ajoutant une double condition d’âge et d’expérience professionnelle à la nomination des JI.

2ème proposition : Simplifier la phase préparatoire du procès pénal en instituant un cadre unique d’enquête

Il s’agit de donner au Parquet le rôle qui est naturellement le sien : directeur d’enquête et autorité de poursuite.

1. Un directeur d’enquête unique : le procureur de la République

- instauration d’une procédure unique dans laquelle toutes les investigations pénales seront désormais conduites sous la direction du ministère public.
- fin de la césure quand une procédure passe de la direction du parquet à celle d’un juge d’instruction.
- un interlocuteur unique pour les services enquêteurs tout au long de la procédure.
- pouvoir pour le Parquet d’effectuer lui-même les actes d’enquête ou de les déléguer aux OPJ.

2. Une autorité de poursuite unique : le procureur de la République

Toute enquête se clôturera par une décision de poursuite ou de classement du procureur. En matière délictuelle : la décision de renvoi ne doit pas être susceptible de contestation. Ce débat devra avoir lieu devant la juridiction de jugement. En matière criminelle, deux positions divergentes se sont exprimées :  Pour certains, le renvoi devant la cour d’assises ne doit pas être susceptible d’appel.  Pour d’autres, c’est une garantie essentielle de maintenir en matière criminelle la possibilité d’un recours contre la décision de renvoi. Les droits des victimes devront être préservés : droit de contester une décision de classement en saisissant le juge de l’enquête et des libertés (JEL) pour obtenir des actes d’enquête supplémentaires ou une décision de renvoi en matière criminelle

3. Quels contrepoids à ce pouvoir étendu du parquet ?

= le parquet, et la PJ, mènent les investigations « à charge et à décharge ». 1) maintien du principe d’opportunité des poursuites (vision pragmatique) 2) rejet de l’idée de rattachement de la police judiciaire à l’autorité judiciaire car le maintien des services de police et de gendarmerie sous une double autorité, administrative et judiciaire, constitue une garantie démocratique, de même que la coexistence de deux forces de sécurité, l’une à caractère civil et l’autre à caractère militaire 3) maintien du système actuel : PJ sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction. Mais la loi doit préciser que les OPJ agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchiques. 4) meilleure association du ministère public à la définition des objectifs et des moyens en ce qui concerne les enquêtes : le procureur général du siège du service devra contrôler les moyens alloués aux enquêtes diligentées par des services à compétence régionale ou interrégionale en associant le cas échéant les autres procureurs généraux concernés. Idem pour les PR sur les services dont le siège est situé dans leur ressort. Idem pour les services à compétence nationale sous l’autorité du PG de Paris

Modification du statut des magistrats du parquet ? Non : pas envisageable que le pouvoir exécutif, qui tire sa légitimité du processus démocratique, ne puisse pas définir la politique pénale et la faire appliquer harmonieusement sur le territoire. Donc : maintien du statut actuel des magistrats du parquet et le véritable contrepoids est l’instauration d’un juge doté de larges prérogatives pouvant ainsi contrôler l’action du parquet et défendre les intérêts des parties. La procédure pénale doit trouver en elle-même ses propres équilibres.

Une minorité de membres a estimé que la réforme proposée justifiait un accroissement des garanties accordées aux magistrats du parquet à travers un alignement de leurs conditions de nomination sur celles du siège. Toute nomination d’un magistrat du parquet serait ainsi subordonnée à l’avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature.

3ème proposition : instituer un juge de l’enquête et des libertés disposant de pouvoirs importants

1. Un juge compétent pour décider des mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles

Sur saisine par le Parquet : = écoutes téléphoniques, sonorisation ou perquisition hors flagrance et hors accord de l’intéressé = mandats d’amener ou d’arrêt, prolongation de garde à vue au-delà de 48 heures, placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire (cf prop.5).  contrôle de la nécessité et la proportionnalité des atteintes aux libertés individuelles

Opinions dissidentes Les “hostiles à la disparition du JI” : paradoxal de critiquer le cumul par le JI de pouvoirs juridictionnels et d’enquête tout en attribuant au juge de l’enquête ce même cumul de pouvoirs. Ils estiment en effet que statuer sur une demande de placement sous écoutes téléphoniques ou de sonorisation constitue un pouvoir d’enquête. D’autres considèrent qu’il s’agit seulement du pouvoir d’autoriser des actes d’enquête.

2. Un juge contrôlant la loyauté de l’enquête

- les parties pourront effectuer des demandes d’actes. En cas de refus du parquet, il appartiendra au juge de l’enquête de statuer. Il pourra enjoindre le parquet de réaliser l’acte.
- débat public devant le juge de l’enquête = garantie supplémentaire (affaires sensibles)
- JEL pourra enjoindre le ministère public d’ouvrir une enquête sur des faits dénoncés par une victime, ou contraindre le procureur à revenir sur une décision de classement sans suite.
- la légalité des actes réalisés par le parquet ou par la PJ sous la direction du parquet pourra être contestée devant la chambre « de l’enquête et des libertés ».

4ème proposition : Garantir et renforcer les droits de la victime et du mis en cause tout au long de l’enquête, augmenter le contradictoire

1. La protection des droits du mis en cause :

a. Deux régimes de droits distincts

** régime restreint avec un accès limité du mis en cause au contradictoire ; // régime actuel pour toute personne mise en cause dans une enquête préliminaire ou de flagrance. MAIS : toute personne entendue par un service d’enquête, qu’elle soit ou non placée en garde à vue, doit être informée des faits justifiant son audition ; toute personne placée en GAV bénéficiera de droits de la défense accrus (cf prop. 5).

** régime renforcé avec l’ouverture au mis en cause de l’ensemble des droits du contradictoire. // mis en examen dans l’information actuelle : accès à tout moment au dossier, avocat lors des interrogatoires, demande d’actes, recours en nullité devant la chambre de l’enquête et des libertés + information par le parquet de la fin des investigations pour formuler des demandes d’acte avant la décision de poursuite ou de classement.

b. Les cas d’ouverture au mis en cause du régime renforcé

- possibilité de demander le bénéfice du régime renforcé et si refus du Parquet (1 mois pour répondre), solliciter le juge de l’enquête qui devra faire droit si indices graves ou concordants
- parquet pourra d’office placer le mis en cause sous le régime renforcé, obligation si faits criminels ou si réquisition DP / CJ.
- possible de réserver la possibilité de demander à devenir partie aux mis en cause ayant fait l’objet d’une audition ou d’une mesure intrusive, telle qu’une perquisition, au cours de l’enquête.
- tout mis en cause entendu sous le régime simple sera informé de son droit à bénéficier du régime renforcé si l’enquête se poursuit.

c. La notification des faits reprochés

Le mis en cause bénéficiant de droits renforcés est une “partie à l’enquête ” En matière délictuelle : notification par parquet ou par un OPJ sur instruction En matière criminelle, ou si DP / CJ est sollicité notification nécessairement par le Parquet.

2. La protection des droits de la victime

- victime pourra devenir “partie à l’enquête ” : mêmes droits que régime renforcé.
- parquet un mois pour répondre à la demande de la victime. Si refus : saisine JEL possible.
- toute victime pourra dénoncer auprès du PR des faits qu’elle estime être une infraction (//cpc) Si le procureur décide de ne pas poursuivre ou pas de réponse en 3 mois : saisine JEL qui pourra ordonner au parquet d’enquêter, en énonçant éventuellement précisément les investigations.
- en cas de classement sans suite, la victime disposera d’un recours gracieux devant le PG.
- en matière criminelle elle pourra contester la décision de classement devant JEL qui pourra enjoindre le parquet de poursuivre.
- en matière délictuelle ou contraventionnelle, il appartiendra à la victime de poursuivre elle-même le mis en cause devant la juridiction de jugement (citation directe).

5ème proposition : Renforcer le respect des droits et libertés individuelles

1. La garde à vue : trois lignes directrices de réforme

a. L’accroissement des droits du gardé à vue (GAV droit commun) :

Certains membres ont proposé que l’avocat soit présent dès la 1ère heure et puisse assister à l’ensemble des auditions du gardé à vue pour conforter la valeur des déclarations faites durant la garde à vue et désamorcer les discussions sur les conditions d’obtention d’aveux
- maintien intervention de l’avocat dès le début de la mesure pour entretien d’une demi-heure ;
- nouvel entretien possible à la 12ème heure avec accès aux procès verbaux d’auditions (Certains des membres sont opposés à l’accès aux PV à la 12ème h (matériellement inapplicable).
- présence possible de l’avocat aux auditions si prolongation après 24 heures et si nouvelles auditions après levée GAV, librement ou sous contrainte.
- enregistrement obligatoire de l’ensemble des gardes à vue sauf si avocat assiste aux auditions
- en matière de trafic de stupéfiants, l’avocat doit pouvoir intervenir à la 48ème et non 72ème heure

b. Le resserrement des conditions du placement en garde à vue :

- la loi doit rappeler que la GAV est une mesure de contrainte et doit être nécessaire.
- GAV possible uniquement si une peine d’emprisonnement supérieure à un an est encourue

c. La création d’une retenue judiciaire pour les majeurs (//système hollandais) = pour les infractions punies d’une peine d’emprisonnement inférieure [ou égale] à cinq ans six heures max - droit de s’entretenir avec un avocat dès la première heure pas de droit de faire prévenir un proche ou de demander un examen médical. enregistrement des auditions pas obligatoire. décision de l’OPJ mais Procureur devra être avisé pourra à tout moment en décider la levée ou ordonner un examen médical transformation en garde à vue possible.

2. La détention provisoire

critères de la détention provisoire : Certains membres ont proposé que DP exclue pour les personnes mises en cause pour des atteintes aux biens si peine encourue inférieure à 5 ans et que mis en cause jamais condamné. Majorité du comité a rejeté cette distinction atteinte aux biens / aux personnes.

délais butoirs fortement réduits pour un changement culturel : Définition d’une durée maximale de la DP entre le début de l’incarcération et la comparution devant la juridiction de jugement avec les quanta suivants :
- six mois si la peine encourue est comprise entre trois et cinq ans d’emprisonnement ;
- un an si la peine encourue est comprise entre cinq et dix ans d’emprisonnement ;
- deux ans en matière criminelle ;
- trois ans pour les faits de terrorisme ou de criminalité organisée. PAS DE PROLONGATION POSSIBLE mais placement sous CJ, éventuellement + bracelet

Pas de solution / demandes d’actes dilatoires formées par le mis en cause en fin d’investigations

garanties renforcées quant au placement en DP : collégialité facultative (si volonté du mis en cause ou du juge de l’enquête)- JEL en serait membre En cas de collégialité, incarcération provisoire de 48 heures possible

garanties renforcées quant au maintien en DP :
- pas de renouvellement de la mesure de détention.
- demande de mise en liberté toujours possible
- appel d’un rejet serait possible devant une juridiction collégiale.
- mise en liberté d’office possible de toute personne détenue dans la mme procédure.
- mise en liberté de droit en l’absence d’acte d’enquête pendant 3 mois
- avis aux victimes de toute décision de placement en DP ou de mise en liberté

renforcement des droits du détenu provisoire quant aux conditions juridiques de sa détention
- permis de visite : le procureur devra statuer dans les 5 jours sinon saisine JEL par le détenu.
- permis de visite à un membre de la famille automatique après délai d’1 mois - de 4 mois - de 6 mois selon que la durée maximale de la détention est de 6 mois - 1 an - 2 ans
- exception si le membre de la famille est partie à la procédure (décision spécialement motivée)
- autorisation de sortie exceptionnelle sous escorte : délai de réponse = 48h

3. Le mandat d’amener (= lettre de mission complémentaire du 10 décembre 2008 ) = que si les faits reprochés au mis en cause sont punissables d’une peine d’emprisonnement.

6ème proposition : Simplifier, harmoniser et sécuriser la procédure préparatoire au procès pénal

1. L’harmonisation des délais de procédure

10 jours pour comparution de la personne si appel d’une décision de placement en détention 20 jours si appel d’un refus de mise en liberté. une règle de calcul des délais de procédure.

2. L’unification des différents régimes de garde à vue

regroupement des textes sur la GAV dans un même chapitre du CPP, même si maintien des régimes distincts - durées légales actuelles satisfaisantes harmonisation des différents régimes de garde à vue en distinguant trois blocs :
- régime droit commun unique en matière de flagrance et de préliminaire.
- régime dérogatoire unique pour délinquance organisée et de trafic de stups : avocat à la 48ème h et examen médical obligatoire à chaque prolongation de GAV à compter de la 48ème h.
- un régime exceptionnel en matière de terrorisme.
- GAV est décidée par OPJ ou par Parquet, 1ère prolongation par Parquet, puis les autres par JEL.

3. Le régime des nullités

si pas de partie à l’enqute, les nullités à soulever in limine litis devant la juridiction de jugement. Si enquête avec des parties les règles actuelles de purge applicables au cours de l’instruction juridiction compétente : « chambre de l’enquête et des libertés ».

7ème proposition : Réformer le secret de l’enquête (article 11 CPP)

- maintien du principe du secret de l’instruction mais dépénalisation de sa violation.
- sanctions disciplinaires si manquement au secret professionnel ou à l’obligation de réserve
- si atteinte à la présomption d’innocence : poursuites civiles possibles (article 9-1 du c.civ.)
- communication par les parties sur des éléments de la procédure par leurs avocats

Une minorité de membres s’est exprimée en faveur de la suppression pure et simple du principe du secret de l’instruction. D’autres ont mis l’accent sur la nécessité de réprimer pénalement la divulgation des pièces de l’enquête.

Conclusion

= constitution d’un « habeas corpus à la française ». aboutissement d’une évolution originale de la procédure française, ni accusatoire ni inquisitoire, mais contradictoire. 2 à 3 ans pour mise en place.

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