Juge d’instruction

Le parquet après la disparition du juge d’instruction

Les orientations de la commission Léger étaient très attendues dans un monde judiciaire secoué par l’annonce de la suppression du juge d’instruction alors qu’il peinait à se relever de l’affaire d’Outreau.

Une nouvelle architecture de la procédure pénale se dégage des 7 propositions formulées par le pré-rapport. Le Procureur est appelé à devenir le seul directeur des enquêtes pénales et à conserver sa fonction naturelle d’engager des poursuites et de soutenir l’accusation au nom de la société. Pour contre-balancer cet accroissement de pouvoir, il sera institué un Juge de l’Enquête et des Libertés, héritant davantage de l’actuel Juge des Libertés et de la Détention que de l’agonisant juge d’instruction. Le J.E.L. sera en effet le magistrat du siège susceptible d’autoriser les actes d’enquête les plus coercitifs, d’adresser des injonctions à un Procureur inerte ou récalcitrant, d’ordonner la détention provisoire des personnes mise en cause.

On espérait que la liquidation du juge d’instruction soit l’occasion d’exorciser les vieux démons du ministère public et de clarifier son positionnement vis-à-vis de la police judiciaire, des magistrats du siège et du pouvoir politique. Loin d’être théoriques, ces problématiques récurrentes ont un impact direct sur la façon dont la Justice pénale est rendue en France. Elles méritaient donc d’être explicitement posées dans une réflexion dont les enjeux ne sont pas moindres que moderniser la Justice pénale et restaurer la confiance des justiciables.

Telle n’est pas la méthode retenue par la commission Léger qui semble avoir précautionneusement éludé ces sujets sensibles. Par la présente note, l’A.J.M. souhaite les exposer aussi clairement qu’ils apparaissent aux jeunes magistrats qui exercent quotidiennement leurs fonctions au Parquet. Et démontrer qu’il ne suffira pas d’inscrire dans la loi que le Parquet enquêtera dorénavant “à charge et à décharge” pour colmater de façon sérieuse toutes les fissures institutionnelles que la disparition du juge d’instruction fera apparaître.

* L’inscription du principe selon lequel Parquet et la police judiciaire enquêtent à charge et à décharge : un voeu pieux ?

Après avoir scellé le sort du Juge d’instruction (1ère proposition) et consacré le procureur de la République comme unique directeur d’enquête et autorité de poursuite (2ème proposition - 1, 2), la commission Léger propose d’inscrire dans la loi, à titre de “contrepoids à ce pouvoir étendu” le principe selon lequel le parquet ainsi que la police judiciaire mènent les investigations à charge et à décharge (cf. 2ème proposition - 3).

Ce principe est conforme aux exigences d’un Etat de Droit où la neutralité et l’impartialité des enquêteurs serviraient une Justice digne et loyale. Mais la proposition ne manquera cependant pas de faire réagir les détracteurs du juge d’instruction qui se délectaient à marteler qu’un même homme ne pouvait pas - sans dédoublement de personnalité - instruire un dossier à charge et à décharge en même temps.

En admettant toutefois que gendarmes, policiers et procureurs disposent des qualités qui font défaut aux magistrats instructeurs aujourd’hui, il est difficile d’imaginer comment ce principe trouvera à s’appliquer concrètement.

D’abord, ce n’est pas faire offense aux policiers et gendarmes que d’affirmer qu’ils sont naturellement plus à l’aise dans la recherche de preuves de culpabilité que de preuves d’innocence. Jusqu’à maintenant, l’efficacité d’un enquêteur s’est plus mesurée à sa capacité à identifier un coupable qu’à débusquer un innocent. A cet égard, on oublie trop souvent de dire que les erreurs judiciaires les plus retentissantes ont suivi les pistes erronées ouvertes par les enquêteurs.

Les substituts du Procureur mesurent quotidiennement les réticences des enquêteurs à faire procéder à des actes à décharge dans les procédure ordinaires : des confrontations, auditions de témoins, vérifications d’alibis. Il faut dire aussi que ces tâches cadrent mal avec la course aux objectifs et la pression statistique qui commencent à ronger la motivation des agents. Le pré-rapport Léger semble préoccupé par “l’accroissement important du nombre de gardes à vue lors de ces dernières années” (cf. 5ème proposition - 1) alors que la réponse n’est pas à chercher ailleurs que dans l’avènement du nombre de gardes à vue comme indicateur de performance des agents et des services. Il regrettable que la commission n’indique pas comment le principe d’une enquête à charge et à décharge devra être concilié avec les obligations de performances imposées par la L.O.L.F.

Certes, le rapport prévoit-il que le J.E.L. contrôlera la loyauté de l’enquête en disposant du pouvoir d’enjoindre le parquet de réaliser un acte demandé par l’une des parties (cf. 3ème proposition - 2). Mais là encore, aucune sanction particulière n’est prévue pour ce principe en cas de résistance d’un Parquet ou d’un service d’enquête. La commission Léger estime que le débat public auquel s’exposerait un procureur récalcitrant serait un “aiguillon” suffisant pour surmonter son inertie. Imagine t-on raisonnablement qu’un jeune homme impliqué dans un vol de scooter ou des violences urbaines saisirait le J.E.L. pour obtenir la vérification d’un alibi et mobiliserait l’opinion publique en cas de refus du procureur de respecter l’injonction obtenue ? Outre que le débat public est rythmé par les médias qui - selon les conjonctures - sont susceptibles d’être complaisants à l’égard du pouvoir politique ; on voit que cet aiguillon ne fonctionnerait que pour les affaires particulièrement sensibles et médiatiquement exposées. Qu’en serait-il alors pour les affaires trop ordinaires pour attirer les micros ou les caméras ?

Quite à renforcer les droits de la victime et du mis en cause tout long de l’enquête - ainsi que le postule la 4ème proposition - on aurait pu prévoir une nullité de procédure tirée du refus par un enquêteur ou un Procureur de procéder à un acte d’enquête qui lui serait expressément demandé, même dans une affaire simple. Cette sanction aurait permis de doter le principe d’enquête à charge et à décharge d’une vraie effectivité.

Il s’agirait également de doter les Procureurs d’une réelle autorité sur la police judiciaire afin que leurs directives ne soient pas considérées comme de simples suggestions et qu’ils disposent d’un réel pouvoir de sanction sur les enquêteurs défaillants. Tel ne semble pas être le sens de la commission qui propose de maintenir l’actuel statut de la police judiciaire.

* Le statut (quo) de la police judiciaire vis-à-vis du Procureur de la République

La commission Léger rejette l’idée d’un rattachement de la police judiciaire au ministère de la Justice, au motif que le maintien de la police et de la gendarmerie sous une double autorité (administrative et judiciaire) ainsi que la dualité des services d’enquête étaient autant de garanties pour la démocratie.

L’argument n’est pas faux. Mais l’inconvénient de ce système est de faire coexister à côté du Procureur une autorité administrative (commissaire de police, directeur départemental de la sécurité publique, officiers supérieurs de gendarmerie) dont il ne faut minimiser ni les qualités, ni les capacités de résistance.

Lorsqu’un agent montre un manque à ses obligations dans ses fonctions de police judiciaire, le Procureur n’a le moyen de le sanctionner que par la notation annuelle ou la capacité de retirer l’habilitation d’Officier de Police Judiciaire. En pratique, les notations annuelles sont diluées et tiennent peu compte de la qualité du travail d’un enquêteur sur toute une année, sauf défaillance grave. Les exemples de retrait d’habilitation de la qualité d’OPJ sont exceptionnelles.

De ce fait, il existe un lien de subordination très particulier entre les enquêteurs et les substituts du Procureur qui ne peuvent miser que sur leur autorité naturelle pour faire appliquer leurs décisions.

Il faut également rappeler que la cohabitation de deux supérieurs, l’un judiciaire, l’autre administratif, est source potentielle de frictions et de rivalités entre eux. Commissaires de police et haut-gradés de la gendarmerie font très majoritairement preuve de compétences supérieures et d’un grand dévouement envers les missions de leur administration. Ils peuvent donc vivre difficilement - parfois même avec une certaine résistance - les orientations données par le Procureur et ses substituts et qui ne cadreraient pas forcément avec ses objectifs. C’est particulièrement vrai ces dernières années en matière de sécurité publique où les contingences du maintien de l’ordre ne coïncident pas toujours avec les exigences de la procédure pénale. Il est ainsi de moins en moins rare de les voir contester directement au Procureur de la République, parfois par l’intermédiaire de leur propre autorité hiérarchique (DDSP, préfet, commandant de groupement), les décisions des substituts.

On mesure dès lors que le contrôle par les procureurs de l’ordre des priorités et des moyens allouées aux enquêtes par les services préconisé par la commission Léger est une proposition qui va dans le bon sens (cf. 2ème proposition - 3 - b) mais qui s’avère bien insuffisante pour garantir que le Procureur sera le seul pilote de la Police Judiciaire. .

* La simplification manquée des cadres juridiques d’investigations

La commission Léger semble attachée à “simplifier la phase préparatoire du procès pénal en instituant un cadre unique d’enquête” (2ème proposition) ou à “Simplifier, harmoniser et sécuriser la procédure préparatoire au procès pénal” (6ème proposition) ; ce qui constitue un effort très louable dans un contexte où la procédure pénale est de plus en plus complexe à mettre en oeuvre par les professionnels et à décrypter par les justiciables.

On pouvait s’attendre dès lors à la confusion de l’enquête préliminaire et de l’enquête de flagrance. Selon la loi, ces deux enquêtes ne se distinguent essentiellement que par l’interdiction faite aux enquêteurs, dans l’enquête préliminaire :
- d’interpeller un personne qui ne se présenterait pas spontanément à eux
- de réaliser une perquisition sans l’assentiment du mis en cause
- d’adresser des réquisitions sans l’approbation du Procureur
- de prolonger une garde à vue sans présentation préalable au magistrat du parquet
- d’enquêter en dehors de leur ressort sans l’autorisation du procureur.

Concrètement, les aménagements à ces principes prévus par le code de procédure pénale et les usages des praticiens conduisent à effacer les distinctions et à encombrer enquêteurs et procureurs de formalités. En effet, le procureur a d’abord la possibilité de prolonger à 15 jours la durée de l’enquête de flagrance, initialement prévue à 7 jours. Il peut autoriser les enquêteurs à réaliser des investigations en dehors de leur territoire de rattachement par l’effet des réquisitions d’extension de compétence (art. 18-4 du CPP). Il peut également leur délivrer des ordres de comparaître leur permettant d’appréhender toute personne, (art. 78 du CPP). L’expérience montre que si les enquêteurs envisagent de réaliser un tel acte, c’est que cela présente un réel intérêt dans leur dossier. C’est la raison pour laquelle le substitut du Procureur leur accorde presque systématiquement les autorisations qu’ils sollicitent.

Les mêmes remarques l’emportent pour les demandes d’autorisation à réquisitions. En les examinant, les substituts ne raisonnent pas sur la pertinence d’un acte d’investigation mais sur des considérations d’ordre purement budgétaire. Une simple sensibilisation des enquêteurs à la problématique des frais de Justice leur permettraient d’apprécier eux-même l’opportunité d’engager telle ou telle dépense.

Il est d’autre part très rare que les enquêteurs ne parviennent pas à obtenir l’assentiment des mis en cause à procéder à une perquisition chez eux dans le cadre d’une enquête préliminaire. Un refus paraîtrait d’ailleurs si suspect qu’il légitimerait la saisine immédiate du J.L.D. pour le surmonter. Quant à la disposition exceptionnelle permettant de prolonger les gardes à vue sans présentation préalable au parquet, elle s’impose comme la pratique générale au sein de services satisfaits d’alléger la charge de leur permanence ou de se dispenser d’un trajet entre brigades et tribunaux. La commission constate d’ailleurs que cette distinction des régimes de garde à vue est théorique et devrait être supprimée (cf. 6ème proposition - 2).

Elle ne tire cependant pas la même conclusion pour les autres règles contournées en pratique et propose de maintenir la distinction entre enquête préliminaire et enquête de flagrance (3ème proposition - 1). Il aurait pourtant été plus lisible et plus conforme à la réalité de supprimer cette distinction qui fait encourir un risque juridique et se trouve presque systématiquement contourné dans la réalité.

De plus, pour compenser la disparition de la mise en examen par le juge d’instruction, la commission Léger propose l’adoption de deux régime juridiques distincts pour l’enquête : le régime simple, aligné sur le modèle actuel et permettant le traitement rapide des affaires qui le nécessitent, et le régime renforcé, dans lequel le mis en cause bénéficiera des droits équivalents à ceux du mis en examen (accès au dossier, assistance d’un avocat lors des interrogatoires, possibilité de demander des actes ou d’en obtenir la nullité).

L’idée n’est pas ici de critiquer le contradictoire et les droits de la défense au stade de l’enquête mais d’observer qu’en introduisant une nouvelle distinction au sein des régimes d’enquête, le pré-rapport complexifie les cadres d’enquête plus qu’il ne les simplifie. Il faudra en effet distinguer dorénavant le régime simple en flagrance, le régime renforcé en flagrance, le régime simple de la préliminaire, le régime renforcé de la préliminaire.

Enfin, l’instauration d’un nouveau régime de retenue judiciaire pour les auteurs de délits punis de moins d’un 5 ans d’emprisonnement va entraîner une nouvelle déclinaison des cadres d’enquête en obligeant à différencier ceux dans lesquels la garde à vue sera possible de ceux où la retenue judiciaire sera seule applicable.

* Le maintien du statut actuel du parquet : tout change mais rien ne bouge

La suppression du juge d’instruction relance - qu’on veuille le voir ou non - le débat sur le statut du parquet par rapport au pouvoir politique et aux magistrats du siège. Il est difficile de prendre une position pertinente dans ce débat en occultant deux réalités paradoxales de notre système judiciaire.

La première réalité est que la politique pénale, autant dans son élaboration que dans sa conduite, est une politique publique à part entière puisqu’elle touche à la protection des droits du citoyen, à sa sécurité, au maintien ou au rétablissement de l’ordre public, voire - dans certaines fameuses “affaires d’Etat” - à la sauvegarde des intérêts de la Nation. Il est donc indispensable que le pouvoir politique (exécutif et législatif) dispose de leviers pour intervenir dans ce domaine.

Actuellement, le principal levier est le rattachement du Parquet à l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice. Compte tenu de ce qui vient d’être rappelé, il n’est pas choquant que le Garde des Sceaux répercute auprès des Procureurs les priorités d’action publique définies par le pouvoir exécutif. Les directives particulières concernant des dossiers précis n’apparaissent pas non plus révoltantes dès lors que le personnel politique les assume au moyen d’instructions écrites versées au dossier (ainsi que le prévoit déjà la loi : art. 36 du CPP).

Ce rattachement à la sphère politique paraît aujourd’hui parfaitement assumé par les Procureurs de la République ou les Procureurs Généraux. Véritables préfets judiciaires, ils multiplient au niveau local des contacts avec les préfets, les maires, les présidents de Conseil Généraux, les représentants d’associations, les autorités religieuses ou médicales, les recteurs d’académie, les directeurs des réseaux de transports publics afin d’ajuster la politique pénale aux spécificités de leur ressort. Les considérations politiques et l’impact médiatique de leurs décisions font partie intégrante de leur réflexion, laquelle ne s’articule plus seulement autour du Droit et de l’équité.

La seconde contrainte, paradoxale avec la première, vient de ce que le Procureur est considéré dans la tradition judiciaire française comme un magistrat à part entière. Ce principe trouve son illustration dans le statut et les pouvoirs du parquet. Il fait partie du même corps que les juges du siège, une simple mutation lui permet de passer d’un camps à l’autre, sa discipline est dévolue au C.S.M..

Il a ensuite l’opportunité des poursuites, ce qui implique qu’il peut prendre la décision de classer sans suite une affaire qui aurait pourtant pu être poursuivie devant les tribunaux (par ex. auteur identifié mais trouble peu important à l’ordre public). L’opportunité des poursuites implique également le pouvoir d’orienter les procédures vers d’autres modes de sanction ou résolution que le procès devant le Tribunal : les alternatives aux poursuites. Ces voies intermédiaires entre le classement sans suite et la poursuite devant le tribunal ont connu un accroissement inédit depuis les années 90 et l’éventail des mesures susceptibles d’être proposées par le Procureur n’a cessé de s’élargir.

Certains choix de poursuite, telles l’ordonnance pénale ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (le plaider coupable à la française), qui ont en définitive la valeur d’un vrai jugement, laissent la part prépondérante aux parquetiers qui proposent une peine que le magistrat du siège ne pourra que valider ou non.

Dans ses pouvoirs d’enquêtes aussi, le parquet est encore considéré comme un magistrat par la loi qui en fait un garant des libertés individuelles en prévoyant que les mesures de gardes à se déroulent sous son contrôle.

Il y a donc un paradoxe à maintenir en l’état un homme qui serait à la fois magistrat, donc indépendant, et un rouage nécessaire du pouvoir politique. Jusqu’à présent, notre machine judiciaire s’est accommodée de ce paradoxe en se reposant sur le juge d’instruction. Dans les affaires d’importance où l’immiscion du pouvoir politique pouvait avoir un sens et présenter un risque, la désignation d’un magistrat du siège indépendant rassurait citoyens, théoriciens et praticiens.

Avec la disparition du juge d’instruction, la schizophrénie du Procureur va devenir insupportable et source de toutes les suspicions. Le parti devra donc être rapidement pris entre un procureur totalement lié au pouvoir politique ou un magistrat du parquet indépendant de ce pouvoir.

Chaque solution présente des avantages et des inconvénients. Le rattachement des procureurs au pouvoir exécutif supposerait qu’ils perdent leur qualité de magistrat et qu’on scinde le corps actuel de la magistrature. Ce principe aurait l’avantage de la clarté. Les procureurs administreraient, enquêteraient et poursuivraient, selon une politique pénale dont les grandes lignes serait fixée par le gouvernement et qu’il adapterait avec plus au moins d’autonomie à son ressort. Les juges du siège prendraient la décision finale et interviendraient au moment de l’enquête pour autoriser les mesures les plus coercitives. L’inconvénient majeur d’une telle situation serait pour le citoyen de perdre le droit à l’impartialité au moment de l’enquête et de la poursuite. Ce qui distingue le pouvoir d’accuser du devoir d’accuser, c’est la faculté laissée à la personne qui l’exerce de renoncer aux poursuites si l’examen objectif des éléments à charge et à décharge ne la convainc pas. D’un point de vue interne, la scission du corps provoquerait enfin un grand bouleversement dans les rangs déjà démotivés de la magistrature qui demeurent attachés à l’unité du corps.

A l’inverse, la solution consistant à consacrer l’indépendance des parquetiers buterait sur la nécessité de laisser au pouvoir politique un champs d’action en matière de politique pénale. Il s’agirait alors de faire sortir le ministre de la Justice du pouvoir exécutif, de l’ériger en Procureur de la Nation dont la seule attribution serait de définir la politique pénale en fonction du mandat qui lui a été donné et de garantir l’indépendance des magistrats. La plus grosse difficulté serait alors de lui procurer une légitimité démocratique, ce qui semble être totalement exclu dans la tradition constitutionnelle française qui a toujours dénié à l’institution judiciaire la qualité de pouvoir et l’a toujours reléguée au rang de simple autorité.

Entre ces deux extrêmes, la solution pourrait être de maintenir les procureurs avec leur double casquette tout en les dotant de réels pouvoirs de résistance lorsqu’ils seraient confrontés à des instructions qui serviraient un autre intérêt que celui-ci de la Justice. Il faudrait alors leur donner la garantie qu’ils n’encourront pas de sanctions disciplinaires s’ils refusent d’observer une instruction pour ce motif, que leur carrière ne sera pas plombée, qu’ils ne seront pas déplacés d’office. Ceci suppose dès lors de dissocier l’autorité qui leur donne les instructions de l’autorité qui s’occupe de leur nomination, de leur avancement et de leur discipline. C’est d’ailleurs la solution que retient une minorité de membre de la commission Léger.

En se prononçant au contraire en faveur du maintien du statut actuel des magistrats du parquet, la majorité du comité fait preuve d’une inertie consternante et semble soucieuse d’escamoter tous les enjeux de ce débat crucial.

CONCLUSION :

Les temps n’ont jamais paru si favorables à une réforme d’ampleur de la Justice pénale : une détermination politique inédite, une attente immense des justiciables, des tribunaux en surchauffe de devoir assimiler un flux grandissant d’affaires, des professionnels découragés d’avoir à pratiquer une procédure pénale gavée de réformes et dont les coutures finissent par craquer de toute part.

La commission Léger pouvait en tirer parti pour mettre à plat l’ensemble d’un système hérité du Code d’instruction criminelle de l’ère napoléonienne. L’occasion était unique de braver tous les tabous institutionnels qui affadissent l’autorité judiciaire et tiennent la pratique pénale française dans les faux-semblants et les complexes. Au lieu de cela, elle semble se satisfaire de lisser au mieux la suppression le juge d’instruction. Comme si le raz-de-marée annoncé devait se faire avec moins de vagues possible...

On ne manipule certes pas la procédure pénale d’une Nation sans sagesse, pondération ni expérience. Mais les architectes et les penseurs de tous horizons savent qu’il ne s’est jamais rien construit de grand, de solide et de novateur sans audace. Le pays des Lumières, de la Révolution française et des Droits de l’Homme pouvait avoir cette ambition. Mais il est vrai que l’ambition et l’audace sont l’apanage de la jeunesse. Le comité Léger en manquait-il ?

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