Juge d’instruction

Un état des lieux de l’instruction préparatoire : une nécessaire réforme

LES POINTS FORTS DU JUGE D’INSTRUCTION

- un magistrat indépendant :

Contrairement aux magistrats du parquet, le juge d’instruction relève de la magistrature du siège dotée d’un statut garantissant pleinement son indépendance, tant au regard du pouvoir politique que des autres pouvoirs.

Cette indépendance statutaire permet au juge d’instruction de pouvoir mener ses enquêtes avec un seul objectif en vue, celui de la recherche de la vérité. Contrairement au Procureur de la République, il n’est pas tributaire d’une politique pénale avec des objectifs chiffrés. Il n’a pas à prendre en compte les préoccupations ou intérêts des élus locaux, des autres administrations du département ou le caractère médiatique ou non d’une affaire.

Le Juge d’instruction a une seule mission : rechercher la vérité dans le cadre des règles fixées par le code de procédure pénale.

- un travail à charge et à décharge :

Conformément à l’article 81 du code de procédure pénale (CPP), le juge d’instruction est tenu d’instruire à charge et à décharge, c’est à dire :

-d’une part de recueillir tous les éléments pouvant impliquer un justiciable dans la commission d’infractions ;

-d’autre part de vérifier les alibis avancés par une personne mise en cause ou la réalité de ses explications ou encore de faire droit à ses demandes d’actes et de réaliser celles-ci avec les mêmes diligences que tous les autres actes du dossier.

L’indépendance statutaire et l’absence de toutes préoccupations en matière de politique pénale et d’objectifs chiffrés permettent au juge d’instruction d’effectuer, sans a priori, de façon impartiale, ce travail à charge et à décharge.

- l’égalité des justiciables dans la défense de leurs droits :

L ‘obligation pour le juge d’instruction d’instruire à charge et à décharge conduit à établir une égalité des justiciables dans la défense de leurs droits. En effet, la vérification des alibis ou les mesures de contre-expertise ne sont pas, par exemple, tributaires des diligences ou des moyens financiers de l’avocat de la personne mise en cause.

-l’introduction du principe du contradictoire avant la saisine de la juridiction de jugement :

L’existence d’une véritable phase d’instruction rend possible l’introduction du principe du contradictoire dès la phase de l’enquête et avant la saisine de la juridiction de jugement.

En effet, dès sa mise en examen ou sa constitution de partie civile, le justiciable a accès au dossier par l’intermédiaire de son avocat. Il peut ainsi, au fur et à mesure de l’avancée de l’information judiciaire :

-avoir connaissance de l’ensemble de la procédure ;

-faire des demandes d’actes, de contre-expertises ou présenter ses observations sur l’interprétation des faits ;

- déposer des requêtes en nullité ;

- préparer sa défense en vue de l’audience de jugement.

L’absence du principe du contradictoire au cours de la phase d’instruction serait particulièrement attentatoire aux droits des parties et nuirait à l’équité du procès à venir. L’exemple des enquêtes préliminaires menées intégralement sous le contrôle du parquet et conduisant à une saisine du Tribunal correctionnel par citation directe en est un exemple très clair. En effet, dans ce cas, souvent rencontré dans les enquêtes de nature financière, le justiciable, qu’il soit mis en cause ou victime, n’a accès au dossier qu’une fois la juridiction saisie. Cet accès tardif au dossier, à l’issue de l’enquête, ne lui permet pas de se défendre utilement et combattre efficacement la présentation à charge d’une procédure. En outre il conduit inévitablement à un accroissement de la durée de la phase de jugement.

-un recours possible contre les décisions du parquet en matière de classement des affaires

Compte tenu de l’opportunité des poursuites pénales par le Procureur de la République, il est important que le justiciable puisse bénéficier d’un recours contre une décision de classement sans suite qu’il estimerait injustifiée. Ce recours ne doit pas être simplement gracieux ou hiérarchique mais juridictionnel.

La saisine du juge d’instruction par le justiciable, dans le cadre d’une plainte avec constitution de partie civile, après classement de l’affaire ou enquête de plus de trois mois, représente une garantie essentielle.

- une mise en état du dossier pénal en vue d’audiences de jugement plus efficaces : Contrairement à certains modèles étrangers, celui de la justice pénale en France connaît des audiences de jugement relativement courtes et efficaces, y compris pour les affaires criminelles. En effet, eu égard à l’existence d’une véritable phase d’instruction, les dossiers sont mieux préparés et les débats devant la juridiction de jugement se recentrent essentiellement sur les seuls points faisant encore débat.

LES POINTS FAIBLES DU JUGE D’INSTRUCTION

-le cumul des pouvoirs d’enquête et des pouvoirs juridictionnels :

Le juge d’instruction à la française comporte une particularité : il est à la fois un directeur d’enquêteur et un juge avec des pouvoirs de nature juridictionnelle. Il s’agit ainsi d’une procédure d’inspiration inquisitoire.

-un directeur d’enquête :

Le juge d’instruction remplit le premier rôle dans la conduite de l’enquête et la recherche des preuves. Les services de police ou de gendarmerie, saisis par commission rogatoire, ne sont que les dépositaires précaires des pouvoirs d’enquête du juge d’instruction.

De façon pratique, celui-ci est tenu, tout au long de l’information judiciaire, de : -être informé de tous les actes effectués par les services de police ou de gendarmerie ; -prendre toutes les décisions importantes relatives aux gardes à vue, aux perquisitions, aux surveillances, aux principales réquisitions ; -veiller à la stricte application, par les enquêteurs, des règles de procédure pénale et à défaut de leur retirer tous pouvoirs d’enquête, en demandant notamment la clôture de la commission rogatoire.

Le juge d’instruction a, par ailleurs, pour mission d’ordonner toute commission d’experts pour les questions d’ordre technique ou scientifique et de procéder aux auditions et interrogatoires les plus importants : ceux des personnes mises en examen, des plaignants ou parties civiles ou encore des principaux témoins.

-un juge doté de pouvoirs de nature juridictionnelle :

Le juge d’instruction est appelé, au cours d’une information judiciaire, à exercer des pouvoirs exorbitants et de nature juridictionnelle : -autoriser des perquisitions dans des locaux protégés par le secret professionnel et les réaliser lui-même (perquisitions dans des cabinets de médecins, d’avocats, dans les entreprises de presse) ; -autoriser des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications (par exemple des écoutes téléphoniques) ; -se prononcer sur la mise en examen des personnes mises en cause ;
- intervenir de façon importante dans la détention des personnes mises en examen, même s’il existe désormais un juge des libertés et de la détention (JLD) ;

Ainsi le Juge d’instruction revêt une double casquette. Si cette dernière pose peu de difficultés dans la majorité des affaires, cela peut en être autrement lorsqu’il s’agit de procédures particulièrement complexes et volumineuses. En effet, du fait de son engagement dans la recherche des preuves et les investigations, le juge d’instruction peut perdre sa nécessaire impartialité dans l’exercice de ses pouvoirs de nature juridictionnelle : manquer de recul dans l’appréciation des indices graves et concordants réunis contre une personne avant sa décision de mise en examen ; manquer d’objectivité dans l’appréciation du caractère indispensable d’un maintien en détention ou d’une mesure de perquisition.

-l’absence de véritables débats avant le stade du jugement :

L’essence même du procès et de la justice dans son ensemble est de faire émerger la vérité après un débat entres les différentes parties. Le juge est appelé à trancher un conflit, pénal ou civil, après avoir recueilli l’avis de chacun et après confrontation des arguments et griefs réciproques, entre un demandeur ou un défendeur au civil ou entre l’accusation et la défense au pénal. Le débat est ainsi la condition essentielle de la manifestation de la vérité.

Compte tenu de son inspiration inquisitoire, la phase actuelle de l’instruction d’un dossier pénal par le juge d’instruction ne connaît pas de véritables débats. En effet, les décisions de mise en examen, de placement sous contrôle judiciaire, de renvoi ou de non lieu, ou encore de correctionnalisation sont prises après simple avis écrit et facultatif des parties. La mise en examen n’est pas, par exemple, précédée d’une confrontation réelle entre les arguments du parquet et ceux de la défense, mais d’un simple avis écrit du premier, se limitant souvent à une courte mention, et de brèves observations orales du second au cours de l’interrogatoire de première comparution. Seules les décisions relatives à la détention sont désormais précédées d’un débat devant le juge des libertés et de la détention, entre le Procureur de la République et l’avocat de la personne mise en examen. Encore faut il souligner qu’il s’agit en l’espèce d’un débat tronqué puisque le personnage central, à savoir le juge d’instruction, ne participe à celui-ci que sous la forme d’un avis préalable émis par une ordonnance de saisine du JLD.

Ainsi l’absence de véritables débats sur les questions essentielles de la phase de l’instruction, mise en examen, placement en détention, renvoi ou non lieu, correctionnalisation, peut nuire à la manifestation de la vérité. Il est regrettable de devoir attendre la saisine de la juridiction de jugement, pouvant intervenir plusieurs mois ou années après l’implication d’une personne, pour voir naître ces nécessaires débats.

- la complexité et la lourdeur de la procédure actuelle :

Les réformes successives de la procédure pénale, particulièrement nombreuses au cours de ces dix dernières années, ont contribué à rendre très complexes certains points de droit et à allonger considérablement la durée des informations judiciaires, voire à les paralyser. A titre d’exemple, on peut rappeler que :

* toute mission d’expertise nécessite dorénavant la notification aux parties de l’ordonnance de commission d’expert et ensuite des conclusions du rapport émis par l’expert , avec la possibilité à chaque fois, pour les parties, de faire des demandes, des contestations et des recours ; ainsi une simple comparaison d’empreintes génétiques ou d’examen psychiatrique peut demander plusieurs mois d’attente ; * la phase de clôture de l’information impose de nombreuses notifications dans des délais très stricts : notification de l’avis prévu à l’article 175 du CPP, notification du réquisitoire définitif du procureur de la République, notification des observations des parties, notification d’un éventuel refus d’instruction complémentaire, notification de l’ordonnance de clôture, puis ensuite citation devant la juridiction de jugement ; ainsi , entre la fin de l’information et l’ouverture de la phase de jugement, ce sont plus de 6 notifications diverses qui peuvent se succéder

-l’absence de collégialité dans les décisions relatives à la détention :

Les décisions relatives à la détention provisoire des personnes mises en examen sont particulièrement délicates et nécessitent des garanties efficaces. La collégialité se présente comme la première d’entre elles. Elle n’est pourtant pas prévue pour les décisions du premier ressort.

Il est par ailleurs regrettable que la dernière loi du 5 mars 2007 ne l’ait pas prévu alors qu’elle l’a rendue obligatoire, à compter de 2010, pour les décisions relevant du juge d’instruction.

-l’absence de motivation dans les décisions de mise en examen :

Dans le prolongement du principe du contradictoire, il importe que les décisions de mise en examen, c’est à dire de mise en cause officielle par une autorité judiciaire d’un justiciable dans la commission d’une infraction, soient motivées de façon précise. Cette obligation doit avoir également pour corollaire la possibilité, pour la personne concernée, de faire appel de cette décision.

Or, actuellement, le juge d’instruction n’est pas soumis à une telle obligation, en tous cas lors de la mise en examen initiale. Les avocats de la défense se plaignent de façon constante de ne pouvoir discuter des éléments ayant conduit le juge d’instruction à placer une personne sous le statut de mis en examen.

-la durée des instructions :

S’il peut être envisagé, dans des situations exceptionnelles, qu’une information judiciaire dure plusieurs années, le délai entre l’ouverture d’une instruction et la première audience de jugement ne devrait pas, de façon générale, excéder les délais préconisés par le code de procédure pénale, soit un an pour les affaires délictuelles et un an et demi pour celles de nature criminelle. En pratique, ces délais sont très souvent dépassés, notamment pour les raisons suivantes :

* délai d’audiencement, entre la date de l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction et la première audience de jugement, de plusieurs mois, voire plusieurs années du fait de l’engorgement des cours d’assises ou des chambres correctionnelles ;

* clôture de l’information régentée par une procédure très lourde : avis de l’article 175 du CPP, réquisitoire définitif et sa notification, demandes d’actes, requêtes en nullité ;

* perte de temps au moment de l’ouverture d’information du fait du changement de directeurs d’enquête ; ainsi, lorsque le procureur de la république décide d’une ouverture d’information à la suite d’une enquête initiée en la forme préliminaire, il peut résulter un délai assez long, de plusieurs semaines, avant la reprise des investigations par les enquêteurs sur commission rogatoire.

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