Réforme de l’ENM

L’analyse du rapport du Senat du 10 juillet 2007 : recrutement et formation des magistrats

Le Sénat a présenté le 10 juillet 2007 un rapport intitulé “un recrutement diversifié, une formation ambitieuse - Les impératifs d’une justice de qualité”. Au terme d’auditions de magistrats d’expériences variées et d’auditeurs de justice, et de déplacements à en Allemagne et en Espagne permettant un éclairage intéressant sur le droit comparé, la mission d’information formule plusieurs recommandations orientées vers trois objectifs : “diversifier le recrutement et garantir un haut niveau de connaissances juridiques, assurer une formation efficace et ouverte sur l’extérieur, et conférer aux magistrats débutants un statut plus adapté pour faciliter leur entrée dans la vie professionnelle (sic)”.

Ce rapport est intéressant en ce qu’il apporte une comparaison avec d’autres modèles européens de formation des magistrats, et aborde des questions essentielles à toute réforme de la formation des magistrats. Certaines de ses recommandations nous semblent aller dans un sens très positif et sont parfois plus que nécessaires et attendues. D’autres sont plus contestables parfois inquiétantes, dans tous les cas très surprenantes.

A la lecture du rapport il apparaît que les sénateurs ont tenté de répondre à deux questions : le droit en vigueur permet-il de garantir que les juges détiennent les capacités de raisonnement et de discernement pour appréhender la complexité des réalités socio-économiques ? Et quel niveau de connaissances juridiques doit être attendu des futurs magistrats compte tenu de la technicité croissante de toutes les branches du droit dans un contexte d’augmentation des contentieux ?

Pourtant les propositions qui sont faites ne portent pas sur le contenu de la formation mais uniquement sur les modes de recrutement et d’encadrement du nouveau magistrat. En fait, ce rapport doit être abordé au regard de cette première phrase de la quatrième de couverture : “l’affaire d’outreau a mis en lumière les faiblesses du système actuel de recrutement et de formation des magistrats français”. Loin de nous l’idée de contester cette affirmation même si l’on peut peut être regretter son caractère péremptoire sans que jamais la question de la collégialité et du rôle des magistrats expérimentés ne soit réellement abordée. Le problème c’est que ce rapport aborde, derrière cette affirmation, la question devenue plus encore depuis l’affaire dite d’Outreau centrale dans toute réforme liée à l’institution judiciaire, “peut on être jeune et magistrat ?”, mais sans jamais l’affronter directement. Il est évident qu’une réponse négative à cette question impose un bouleversement de toute la magistrature mais pourquoi pas après tout si la qualité des décisions rendues en est profitable. Toutes les hypothèses devraient être alors étudiées notamment celles d’imposer d’être avocat avec d’être magistrat, ou encore de créer une école commune avant une spécialisation. Si la réponse est positive à cette question, on ne peut que s’interroger sur l’intérêt d’instituer un stage avocat de 6 mois pour une formation qui n’en compte que 31 mois et dont l’équilibre est déjà très fragile tant ses objectifs sont nombreux, ou l’intérêt de créer des magistrats référendaires. Cette nouvelle catégorie de magistrats signifie finalement qu’à la sortie de l’école, on n’est pas encore apte à être un vrai magistrat, alors pourquoi prévoir une école de formation pour les magistrats ?

De plus, ce rapport n’aborde pas la question fondamentale nécessaire à la base de toute réflexion sur le recrutement et la formation des magistrats : quelles doivent être les qualités d’un magistrat ? Lors de l’arrivée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, c’est pourtant le tout premier débat organisé et c’est de cette discussion que chacun peut mener sa réflexion sur son rôle de magistrat. L’évolution de la place du magistrat dans la société conduit inévitablement à une évolution de ces qualités pouvant être plus tournées vers l’ouverture, l’humanité, la technicité, l’écoute, la rigueur etc au gré des époques, de la procédure, et du temps... Il y a seulement quelques années, le Conseil d’Administration de l’ENM souhaitait que la formation s’ouvre sur l’apprentissage du monde de l’entreprise et sur l’international. Aujourd’hui, par la prolongation du stage avocat et la suppression du stage extérieur, cette ouverture laisse sa place à l’apprentissage des droits de la défense. La réforme de la formation des magistrats suppose un vision des qualités des magistrats afin qu’un équilibre puisse être assuré entre les différents objectifs. Faire évoluer la formation des magistrats au gré d’événements judiciaires peut conduire à un déséquilibre entre les différents objectifs et lorsqu’on veut mettre l’accent sur une réforme nécessaire, il faut aussi s’assurer que les autres objectifs ne soient pas diminués afin d’assurer une formation de qualité.

Ce rapport énonce 20 recommandations orientées autour de cinq axes de réflexion :

1- assurer une plus large diversification du corps judiciaire par un statut plus attractif pour les candidats expérimentés : indemnité spécifique pour les magistrats et auditeurs ayant quatre ans d’activité professionnelle antérieure, possibilité de rachat des droits à pension pour les magistrats issus des concours complémentaires, garantie d’un revenu acceptable pour les candidats à l’intégration directe et concours complémentaires, attribution d’un plus grand nombre de poste de premier grade et hors hiérarchie par les voies d’entrées parallèles, différenciation des épreuves du deuxième concours par rapport à celles du premier concours afin de prendre en compte le profil des candidats.

Ce qu’en pense l’AJM : L’AJM est favorable à un rééquilibrage des modes de recrutement afin que la diversité professionnelle se poursuive dans la magistrature à un rythme plus important qu’actuellement. Toutes les mesures notamment financières permettant de rendre la profession plus attractive sont nécessaires. La plupart sont d’ailleurs sollicités depuis de nombreuses années et il est grand temps qu’elles soient mises en oeuvre.

Mais cet objectif de diversité ne doit pas se réaliser au mépris des compétences techniques nécessaires à la qualité de magistrat. Le recrutement doit donc se faire selon des critères mieux définis et la formation de ces magistrats doit être aussi poussée dans l’apprentissage des fondamentaux que celle des auditeurs de justice. La période de stage probatoire doit être repensée et peut être rééquilibrée par rapport à la période de formation théorique. L’AJM n’est pas favorable à l’instauration de QCM pour le deuxième concours car les épreuves actuelles permettent d’assurer une compétence juridique certaine pour les candidats. Enfin, les postes du premier grade et hors hiérarchie doivent être attribués à des personnes qui connaissent la réalité du terrain, qui connaissent les procédures, les partenaires, et qui sont aptes à gérer une équipe et prendre des décisions importantes.

2- adapter les modalités du concours “étudiant” pour garantir un haut niveau de connaissances juridiques et promouvoir l’apprentissage du “discernement”, mieux évaluer l’adéquation du profil des candidats du premier concours au métier de magistrat, maintenir les conditions de qualification universitaire requises pour le premier concours, rééquilibrer les coefficients des épreuves afin de faire primer le droit sur la culture générale, rendre éliminatoire toute note inférieure à 5 sur 20 aux épreuves écrites ou orales, regrouper certaines matières au sein d’une même épreuve du premier concours, actualiser le programme du premier concours.

Ce qu’en pense l’AJM : L’AJM est favorable à ce que les épreuves du premier concours, dit “étudiant” soient actualisées au regard des évolutions du droit et des nécessités. Le regroupement de certaines épreuves en une unique telle que la procédure civile dans le droit civil et la procédure pénale dans le droit pénal pourraient aussi permettre à ces épreuves de mieux correspondre à la réalité du droit. Une épreuve spécifique sur le droit processuel, européen, telles que le contradictoire, l’indépendance, l’impartialité, pourrait aussi être mise en oeuvre.

Ce concours permet déjà d’assurer une diversité des candidats notamment au regard des candidats sortant des IEP. Bien que n’ayant pas eu d’enseignement juridique aussi nombreux et poussés que les étudiants en droit, ces candidats ont généralement un bagage intellectuel qui leur permet rapidement de dépasser ces écueils. La modification du contenu du grand oral un peu moins tourné vers la culture générale et plus axé sur la personnalité et les motivations du candidat, à l’image d’un entretien d’embauche permettrait de rééquilibrer les différentes épreuves et d’assurer une égalité des chances plus réelle.

L’AJM est favorable à ce que les personnalités qui ne disposent pas des qualités humaines suffisantes pour être magistrat soient décelées en amont de leur exercice professionnel. Mais elle n’est par contre pas favorable en l’état à la mise en place de tests psychologiques. Ces tests apparaissent inefficaces car ils peuvent être préparés par le candidats, et son succès est soumis à aléas. Ses critères seront toujours objets de suspicions ; son utilisation aussi. Ces tests contestables ne pourront de plus pas être discutés par le candidat. Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique et imposer une expertise psychologique et psychiatrique soumises à une possibilité d’ordonner une contre expertise ? Le rapport du Sénat rappelle l’existence d’autres manières d’assurer la candidature de personnes ayant les qualités humaines nécessaires à l’exercice de la profession de magistrat, notamment les mises en situation à l’image du concours d’administration pénitentiaire. L’AJM souhaite qu’une véritable réflexion sur la mise en place de critères d’appréciation des qualités personnelles propres au recrutement soient menée. Elle organisera d’ailleurs un débat sur ces questions afin de faire des propositions. Quoiqu’il soit décidé sur ce point, l’AJM ne comprendrait pas que les trois concours ne soient pas soumis aux mêmes exigences, l’expérience professionnelle n’étant en aucun cas gage de qualités humaines suffisantes !

L’AJM est aussi favorable à la modification et à l’éclaircissement des objectifs de l’épreuve de grand oral avec le jury. Une épreuve tournée vers un entretien d’embauche semblerait plus adéquat avec la place et la tournure que prend de fait cette épreuve. Cependant même si une personnalité compétente dans les sciences humaines ou la psychologie intervenait dans le jury, l’AJM précise que le plus souvent les difficultés relationnelles qui apparaissent en cours du stage juridictionnel sont difficilement perceptibles lors d’un entretien individuel. Il est essentiel que soit mis en place un autre moyen d’appréciation.

3- placer l’Ecole nationale de la magistrature au coeur de l’institution judiciaire et remédier à son cloisonnement, faire appel à l’ensemble des magistrats en poste pour assurer des directions d’études, alléger et diversifier la composition du conseil d’administration, amplifier les rapports entre les élèves avocats et les auditeurs de justice, assurer une meilleure formation des magistrats maîtres de stage et valoriser cette fonction, donner un véritable contenu au stage avocat accompli en une seule fois et avant le stage juridictionnel.

Ce qu’en pense l’AJM : L’AJM est bien sûr favorable à ce que des magistrats de terrain puissent intervenir à l’ENM afin d’assurer un lien plus étroit entre la théorie et la pratique. Mais cette ouverture ne doit pas s’opposer au nécessaire maintien d’une cohérence pédagogique au sein des directions d’étude. Il convient de conserver un chargé de formation par direction d’étude afin d’assurer un suivi de l’évaluation et de l’évolution de la formation. Il convient en outre de préciser les différents niveaux d’intervention à l’école car entre chargés de formation, enseignants associés et collaborateurs extérieurs, le domaine de compétence, d’action et d’intervention est quelque peu imprécis.

L’AJM n’est pas contre la proposition d’alléger la composition du conseil d’administration de l’ENM mais précise que lui paraissent absolument nécessaires le maintien des représentants syndicaux qui ne participent d’ailleurs pas aux votes, des représentants des chargés de formation, et des représentants des auditeurs de justice. Plus que la composition du CA de l’ENM c’est le mode de nomination au CA qui devrait être revu en permettant notamment une élection parmi les chefs de juridiction ou les magistrats n’ayant que quelques années d’exercice. Il est d’ailleurs nécessaire que le membre du CA qui est nommé en raison de sa date d’entrée en fonction dans la magistrature puisse rendre des comptes à tous les magistrats et au minimum les informe de ce qui se déroule au Conseil d’Administration. Il pourrait également être mis en place une élection de ce membre par les magistrats ayant moins de 7 ans d’ancienneté, afin d’assurer sa représentativité et sa légitimité. Enfin, l’indépendance du Conseil d’Administration doit être effective, le poids de la chancellerie devant être limitée au maximum seule possibilité pour qu’il ait un rôle effectif.

L’AJM est favorable aux échanges entre élèves avocats et auditeurs de justice au sein de l’école. Par contre, l’AJM renouvelle ses regrets et ses inquiétudes vis à vis de l’instauration d’un stage avocat d’une durée de 6 mois qui déséquilibre une formation déjà fragile. Elle souhaite que la question de fond “faut-il être avocat avant d’être magistrat” soit réellement abordée et organise prochainement un débat sur ce thème. Ce stage a conduit le Conseil d’Administration de l’Ecole Nationale de la Magistrature le 3 juillet 2007 à supprimer purement et simplement les stages extérieurs des auditeurs de justice. L’AJM s’étonne que le Sénat ne s’émeuve pas de la suppression de l’ouverture sur le monde extérieur des futurs magistrats. L’AJM souhaite immédiatement sa restauration.

L’AJM est aussi d’accord avec la recommandation de former les maîtres de stage et de valoriser cette fonction. Elle considère d’ailleurs que cette formation doit être non seulement à la pédagogie mais aussi à l’évaluation afin d’éviter tout dérive parfois constatée.

Concernant l’évaluation des auditeurs de justice, l’AJM souhaite surtout qu’une large réflexion s’engage sur son principe puisque seuls devraient compter l’aptitude à l’exercice des fonctions de magistrats. L’évaluation du stage juridictionnel gêne souvent l’auditeur de justice dans son évolution, et accentue les inégalités selon le lieu du stage juridictionnel et le maître de stage. L’aptitude pourrait être décernée par l’ENM et l’examen de sortie pourrait avoir essentiellement pour intérêt de classer les auditeurs de justice afin de leur permettre de choisir leur premier poste, s’ils ne peuvent pas se mettre d’accord.

Si le système d’évaluation du stage juridictionnel est conservé, l’AJM souhaite que des règles précises soient enfin énoncées quant à l’évaluation attendue par l’école, notamment sur son caractère administratif ou non et par conséquent que les maîtres de stages soient formés à la pédagogie non pas seulement sur ce que l’école attend mais aussi sur ce qui doit et peut être demandé à l’auditeur de justice, trop d’abus étant souvent notés.

Enfin, l’AJM partage les réflexions du rapport du Sénat sur la localisation de l’Ecole qui limite la diversité des intervenants à la formation et complique pour beaucoup d’auditeurs la vie personnelle.

4- assurer une meilleure effectivité du caractère probatoire de la formation initiale des magistrats, identifier plus clairement et écarter les auditeurs de justice n’ayant manifestement pas les aptitudes requises pour être magistrat, mieux prendre en compte la personnalité de l’auditeur et sa perception des aspects éthiques, déontologiques et humains de ses futures fonctions lors de la conversation avec le jury en changeant le contenu de l’entretien et en ouvrant le jury à la société civile.

Ce qu’en pense l’AJM : L’AJM est favorable à ce qu’un auditeur de justice qui ne présente pas les qualités humaines nécessaires à l’exercice de la fonction de magistrat (sous réserve de leur définition précise et claire) puisse être, s’il ne l’a pas été en amont, lors de son recrutement, exclus de la magistrature. Peu importent les solutions de soutien et de restructuration offertes à ce magistrat. Mais il apparaît à l’AJM qu’au delà de l’effectivité des recommandations pouvant être prises lors de l’examen de sortie dont la durée d’interdiction d’une fonction pourrait d’ailleurs être aussi discutée, c’est la responsabilité et la crédibilité de l’école dans son rôle de recrutement et de formation qui doit être mise en avant. Il ne faut pas non plus qu’afin de prévenir les risques l’ENM fasse une application trop aléatoire de ces critères. Un auditeur de justice qui a une bonne note de stage n’a aucune raison d’être inapte par la suite, à moins que les magistrats n’aient pas pris toutes leur responsabilités lors de son évaluation. Une procédure transparente avec des critères définis doit enfin être mise en oeuvre. De même il convient de distinguer l’incompétence technique à laquelle on peut remédier et l’absence des qualités humaines nécessaires qui peuvent évoluer ou non. Une procédure de contestation de la décision de l’ENM doit aussi être mise en place, avec notamment un recours auprès d’une personne indépendante (et pas le directeur de l’ENM comme actuellement).

L’AJM est favorable à la modification du contenu de l’épreuve de discussion avec le jury lors de l’examen de sortie. Cette épreuve ne devrait pas être le lieu de vérification de connaissances juridiques mais le lieu d’un véritable bilan sur la formation reçue et sur l’aptitude de l’auditeur à être magistrat, notamment en ce qui concerne le respect des différents principes inclus dans le serment du magistrat et l’exigence d’un procès équitable.

5- doter les magistrats débutants d’un statut plus adapté à leur situation et mieux à même de répondre aux besoins des juridictions, - instaurer une période de probation soumise à une évaluation régulière menée conjointement par les chefs de juridiction et des représentants de l’ENM pendant au moins 2 ans voire 3 ans en cas de difficulté, à l’issue de la formation. Le magistrat dénommé magistrat référendaire, serait juge de plein exercice et ferait l’objet d’un suivi régulier avec le Président de la juridiction ou son délégué ( à l’issue des 1ers, 3ème, et 6ème mois de la première année puis tous les 6 mois). - définir les modalités d’affectation propres aux magistrats référendaires pour permettre l’apprentissage de la polyvalence des fonctions et élargir leur expérience ; lors de l’examen de sortie de l’ENM, les magistrats référendaires choisiraient leur juridiction d’affectation et non plus un poste précis, à charge pour les chefs de la cour d’appel du ressort de les nommer prioritairement dans les fonctions du parquet ou subsidiairement dans les formations collégiales du siège. Ce dispositif permettrait d’offrir aux chefs de juridiction la souplesse de gestion nécessaire, à l’instar de ce qui existe pour les magistrats placés.

Il s’agit de l’innovation majeure de ce rapport : la création d’une nouvelle période de probation après celle de la formation initiale, pendant une durée de deux à trois ans, pour tout magistrat débutant. Le Sénat va même plus loin car il préconise que pendant cette nouvelle période de probation le magistrat référendaire ne soit affecté que dans des fonctions du parquet, ou à la rigueur, du siège mais en collégialité.

Ce qu’en pense l’AJM : Sur le principe, ce nouveau statut ne nous paraît pas répondre à une nécessité. Considérer qu’une nouvelle période de formation est nécessaire après la formation initiale des magistrats, au delà de l’habituelle formation continue, c’est considérer que la formation initiale telle que mise en oeuvre est un échec puisque pas suffisante à elle seule. De plus, il n’est pas dit en quoi cette période de probation consiste et quels en sont les objectifs. S’agit il de tester les compétences techniques du magistrat débutant ou ses qualités humaines ? S’il s’agit de ses compétences techniques, le magistrat débutant doit pouvoir bénéficier comme tout magistrat de la formation continue ou l’appui des associations fonctionnelles. S’il s’agit de ses qualités humaines qui lui feraient défaut sans que cela n’ait été observé pendant toute la période de formation à Bordeaux, le magistrat débutant, comme n’importe quel magistrat qui est aussi soumis aux aléas de la vie, doit voir sa situation appréciée par les chefs de cours puis par la voie ordinaire. Il revient aux chefs de juridiction, aux chefs de cours et au CSM de prendre leurs responsabilités. Ce n’est pas aux magistrats débutants de payer le manque de courage de leurs aînés.

Sur le fond, cette réforme pose un véritable problème de fonctionnement. Le Sénat entend créer un statut de magistrat de plein exercice soumis à une période de probation qui par définition peut échouer. Or bien au contraire, un tel magistrat ne peut être de plein exercice parce que justement soumis à une période de probation qui annihile pour partie son indépendance. Comment pourrait il faire valoir son avis dans une collégialité dont le président serait susceptible de l’évaluer et donc de lui reprocher d’avoir donné un avis différent du sien lors d’un délibéré ? Imposer une période de probation c’est empêcher cette indépendance. Cette situation serait d’ailleurs encore plus délicate à vivre dans une petite juridiction et aurait pour conséquence d’isoler le magistrat débutant alors qu’il faut au contraire l’entourer. Le statut d’auditeur de justice est déjà extrêmement difficile à vivre en ce qu’il fausse le plus souvent les relations avec les magistrats qui doivent l’évaluer. Imposer une nouvelle période de deux années sur le même régime, tout en imposant en plus au magistrat probationnaire de prendre des décisions en son âme et conscience est totalement irréalisable et très dangereux sur les garanties d’une justice de qualité.

De plus, le Sénat préconise que ces magistrats soient affectés uniquement à des fonctions du parquet ou subsidiairement à des fonctions collégiales du siège tout en étant gérés par les chefs de cours. Le rapport du Sénat manque de précision sur ce point et laisse entendre que ces magistrats pourraient être affectés selon les cas soit au siège, soit au parquet, ce qui est formellement impossible en raison de la séparation du siège et du parquet. Imposer au magistrat débutant des fonctions soit du parquet soit de collégialité a aussi pour conséquence de leurs donner moins de responsabilité qu’un juge de proximité, ce qui est une aberration au regard de la formation de la formation respective qu’ils reçoivent !

Le Sénat présente cette réforme comme une manière pour les chefs de cours de gérer au mieux les effectifs des magistrats, assimilant leur gestion aux magistrats placés. Les magistrats placés peuvent être affectés à n’importe quelle fonction du siège s’ils sont juges placés ou du parquet s’ils sont substituts placés. Cette fonction est justement contestée en ce qu’elle est ouverte à des magistrats débutants et donc manquant d’expérience qui doivent passer d’une fonction à une autre ou d’un tribunal à un autre, en s’adaptant rapidement à des contentieux très divers. Il est très surprenant que le Sénat assimile ces deux statuts vu les critiques faites aux magistrats placés !

L’AJM pense que le Sénat a commis une erreur importante et a confondu accompagnement des magistrats débutants et période de formation et donc de probation. Elle est consciente des débats entourant la jeunesse des magistrats et leur inexpérience. C’est une des raisons de sa création. L’AJM a pour objectif de permettre un accompagnement des magistrats débutants. Elle considère que cette démarche ne peut être efficace que si elle est dégagée de toute évaluation. Une forme de tutorat institutionnel pourrait être mis en place comme il est d’ailleurs réalisé dans de petites juridictions. Cet accompagnement doit être tant technique via les associations fonctionnelles que institutionnelle et morale via une structure comme l’AJM. C’est l’accompagnement des magistrats débutants qui permettra de faciliter son adaptation à ses nouvelles fonctions et non une nouvelle période de probation.

Au delà de ces critiques, l’AJM souhaite rappeler que l’expérience professionnelle n’est pas toujours gage de compétence, et que la collégialité n’est pas uniquement l’apanage des magistrats débutants.

Les magistrats débutants apportent un renouvellement des pratiques professionnelles ainsi qu’une modernisation de l’institution à l’image des évolutions de la société. La magistrature à tout à perdre d’une réforme qui se coupe de cette importante force de dynamisme.

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