Billets d’humeur

Le futur Juge de l’Enquête et des Libertés : exercice d’analyse sémantique

Au début de cette belle histoire aujourd’hui presque achevée, il n’existait que le Juge d’Instruction. Tout puissant, ce cow boy des temps modernes avait notamment le pouvoir de placer en détention. Le contradictoire c’est à dire l’intervention des avocats notamment de la défense n’existait quasiment pas. La phase d’instruction (l’enquête menée par le Juge d’Instruction) était considérée comme un ensemble sous le contrôle d’une seule personne ; la détention faisait partie de ce tout et n’en était qu’une composante.

Puis l’omni pouvoir du Juge d’Instruction s’est fissuré. D’abord par l’introduction du contradictoire et donc du renforcement de la place de l’avocat dans la procédure. Surtout par la création, en 2000, du Juge des Libertés et de la Détention. Etait donc séparé de l’instruction, car considéré comme étant trop important pour être attribué à un unique juge, le contentieux de la détention. Le pouvoir de décider de la détention provisoire ne relevait plus du Juge d’Instruction mais du Juge des Libertés et de la Détention. Le nom lui même de ce nouveau juge était clair car il opposait logiquement la détention aux libertés individuelles. L’opposition était double puisqu’elle résidait en outre dans le singulier de la détention et le pluriel des libertés. Ce pluriel se justifiait par les différentes atteintes qui pouvaient être portées à l’individu, soit dans sa liberté d’aller et venir, soit dans celle de communiquer, ou celle du droit à la vie privée. Le Juge des Libertés et de la Détention intervenait pour autoriser ces mesures telles que les perquisitions ou les interceptions téléphoniques uniquement lorsqu’elles étaient prises par le procureur de la République et non par le Juge d’Instruction. En clair, la Loi faisait confiance au Juge d’Instruction pour ordonner ces mesures de contrainte autres que la détention car il était un juge du siège indépendant, mais ne faisait pas confiance au procureur de la République qui rappelons le est finalement rattaché au pouvoir politique. Le Juge d’Instruction se voyait retiré le pouvoir de mettre en détention non pas au titre de cette confiance puisque déjà juge du siège et pouvant ordonner des mesures attentatoires aux libertés mais au titre de la gravité de la décision prise qui nécessitait le regard de deux juges du siège différents.

Mais le pré-rapport du comité Léger en date du 9 mars 2009 propose la suppression du Juge d’Instruction et son remplacement par un Juge de l’Enquête et des Libertés. Un temps Juge de l’Instruction et des Libertés, selon les rumeurs en tout cas, le terme "instruction" est logiquement supprimé dès lors que la phase d’instruction l’est tout entière. L’enquête est donc aujourd’hui seule opposée aux libertés comme en son temps la détention l’était. L’enquête englobe symboliquement la détention puisqu’elle la remplace dans la dénomination de ce juge. Or le pendant de la détention, c’est évidemment la liberté. L’enquête incorpore la détention et exclut la liberté de son champ d’application ! En n’incorporant sémantiquement que la détention, la phase d’enquête devient le lieu normal où la contrainte s’exerce là, où, du temps du Juge des libertés et de la Détention, comme nous l’avons vu, la contrainte était exclue de cette enquête. Mais le rapport va plus loin puisque c’est le procureur de la République qui mènera cette enquête. Symboliquement le procureur de la République mènera donc une enquête au cours de laquelle la contrainte est le principe et les libertés l’exception. En appelant le nouveau juge du siège, Juge de l’Enquête et des Libertés, le rapport revient sur la séparation entre l’enquête et la contrainte et attise la vision d’un procureur de la République ne garantissant pas les libertés individuelles.

Les mots ont un sens et les termes désignant les juges ont leur importance. Le rapport Léger en fait la démonstration tant il conduit à l’inverse de ce qu’il affirme. A moins que ce ne soit un lapsus révélateur d’une conception de l’enquête et du rôle du procureur de la République. En tout cas, tout est dit dans le nom de ce nouveau juge.

Partager cet article