Réforme de l’ENM

Propositions de l’AJM sur le projet de réforme du recrutement des magistrats

Informée des évolutions de la réforme du recrutement des magistrats et des propositions du groupe de travail en date du 23 avril 2008, l’Association des Jeunes Magistrats souhaite faire part de plusieurs observations et de ses propositions.

I- Sur la diversité du recrutement :

Une réflexion sur l’ensemble des recrutements. L’AJM constate que cet avant projet ne porte que sur les trois concours d’accès. L’AJM regrette qu’aucune réflexion ne soit dès maintenant menée sur l’ensemble des modes de recrutement, afin notamment de rendre plus lisible les voies d’accès à la magistrature et harmoniser les grands principes de recrutement. L’AJM souhaite notamment que tout futur magistrat bénéficie d’une formation théorique réelle et sérieuse à l’ENM.

Modifier le nombre de présentations aux concours d’entrée. De même l’AJM regrette qu’aucune réflexion ne concerne le nombre de présentations aux concours d’accès. Dans l’objectif d’assurer une diversité du recrutement des magistrats, l’AJM souhaite qu’il soit permis à des candidats ayant déjà passer trois fois le premier concours de se présenter, après une expérience professionnelle, aux 2ème et 3ème concours. Elle propose par conséquent que le nombre de tentatives soit relevé à 5, comme pour le concours de l’ENA dont trois fois pour le premier concours. Cela permettrait d’augmenter le recrutement des deuxième et troisième concours.

Conserver le cycle préparatoire. L’AJM n’est pas favorable à la suppression du cycle préparatoire et à sa dépréciation, qu’entraînera de manière certaine le fait qu’il soit par correspondance. Ce cycle ne représentera plus qu’un intérêt extrêmement limité, et conduira à diminuer les recrutements de personnalités ayant des expériences professionnelles antérieures. Enfin, il conduit à une inégalité importante avec le cycle préparatoire prévu pour l’ENA.

Engager un réel débat sur le maintien du concours étudiant.. L’AJM est très réservée quant à l’augmentation de 27 à 31 ans de l’âge maximum pour être candidat au premier concours. Elle constate que cette augmentation aura pour incidence directe de limiter la présence d’étudiants en droit, soumis de manière plus importante à la concurrence directe de personnalités ayant une expérience professionnelle antérieure. L’AJM craint que cette mesure, couplée à la diminution du recrutement au premier concours et l’augmentation de la part des 18-1 ( un tiers et non plus un cinquième des recrutés sur concours), ne conduise à la diminution drastique du nombre d’étudiants en droit admis. Redoutant que l’accumulation de petites mesures n’ait en réalité pour objectif d’assécher la voie d’accès des étudiants à la magistrature par le premier concours, mettant ainsi fin à l’exception française existant en ce domaine depuis 50 ans, l’AJM réclame vivement qu’un débat public associant professeurs d’universités, politiques, intellectuels et magistrats, soit engagé sur ce point.

II- Sur les épreuves écrites :

Sur l’organisation des épreuves écrites. L’AJM s’inquiète de l’augmentation significative du nombre d’heures d’examen, qui passe de 20 à 26 heures avec ce nouveau projet. Elle craint que cette tendance à l’empilement des épreuves ne se limite qu’à un empilement du contrôle des connaissances. Elle insiste sur le fait que les épreuves écrites doivent aussi permettre d’apprécier la capacité du candidat à se mobiliser, à s’interroger, et à disposer d’une ouverture d’esprit ainsi que d’une curiosité intellectuelle. L’AJM conteste donc cette augmentation du nombre d’épreuves et pense que cela ne sera pas suivi d’une augmentation de la qualité du recrutement.

Sur les épreuves de droit - Instaurer un choix entre la dissertation et le cas pratique. L’AJM est très favorable à la proposition de réforme des épreuves de droit civil et de droit pénal, de même qu’à l’instauration, dans son principe, du cas pratique. Cependant, elle fait valoir que des épreuves de cas pratique de deux heures chacune comportant un coefficient 1 reviennent à ne leur accorder qu’une place totalement marginale. L’AJM étant très attachée à ce que l’organisation des concours permette d’assurer un recrutement de qualité et donc de magistrats disposant de qualités rédactionnelles certaines, elle propose qu’un équilibre réel soit trouvé. Ainsi, l’AJM propose qu’au lieu de cumuler deux épreuves de dissertation et de cas pratique, le candidat fasse un choix préalable entre une dissertation en 5 heures et un cas pratique en 5 heures, tout en lui imposant une dissertation et un cas pratique dans l’une des deux matières de son choix (une dissertation en droit civil et procédure civile et un cas pratique en droit pénal et procédure pénale ou l’inverse). Ainsi les qualités de raisonnement juridique, les connaissances juridiques et les qualités rédactionnelles seront toutes appréciées en équité.

Sur l’épreuve d’organisation de l’Etat - Limiter cette matière à un oral d’admission. L’AJM est extrêmement réticente à l’introduction d’une nouvelle épreuve d’organisation de l’Etat, de la justice, des libertés publiques et de droit public. Cette matière fourre-tout, d’un coefficient 1 dans un style de QCM de 6 à 8 questions apparaît comme indigne d’un grand concours national. Si l’AJM est consciente des objectifs recherchés par cette épreuve, elle fait valoir que l’organisation d’un simple oral d’une demi-heure au stade de l’admission pourrait être nettement plus conforme aux objectifs recherchés. Cette épreuve orale permettrait en plus un meilleur balayage des connaissances du candidat.

Sur l’épreuve sur document - Supprimer la référence à une note hiérarchique. L’AJM ne comprend pas l’intérêt de modifier le titre de l’épreuve de note de synthèse et s’indigne qu’il ait pu être dans le projet de l’ENM de faire référence dans l’énoncé de cette épreuve à un supérieur hiérarchique. Cet énoncé était très préoccupant car contraire à l’indépendance des magistrats. L’AJM se réjouit de sa suppression. L’AJM est favorable à la limitation du coefficient de cette épreuve sur documents.

Sur l’épreuve de culture générale - Maintenir un niveau important de culture générale. Enfin, l’AJM s’inquiète de la dépréciation de la culture générale, sollicitée tant à l’écrit que lors de l’oral dans les concours d’accès. Quel que soit l’intitulé de la nouvelle épreuve écrite de culture générale, l’AJM souhaite, en raison notamment de la modification de l’épreuve d’entretien avec le jury, qu’elle permette de recruter des personnalités ouvertes sur le monde et disposant d’un niveau sérieux de culture générale.

III- Sur les épreuves orales :

Sur les épreuves de langue - Ne pas se limiter à l’anglais et revoir les coefficients. L’AJM ne comprend pas la limitation à l’anglais de la première épreuve de langue obligatoire. Cette restriction conduit à une inégalité des candidats selon leur première langue vivante. Il convient de préciser que le Ministère de l’Education n’imposant pas l’anglais à titre de première langue vivante, un concours de la fonction publique ne saurait l’imposer. A titre subsidiaire, si l’anglais apparaissait comme totalement indispensable à l’exercice de la profession de magistrat, l’AJM accepterait qu’il soit imposé au candidat mais que celui ci puisse choisir de le passer au titre de l’épreuve obligatoire ou de l’épreuve facultative de langue. Si l’AJM soutient l’existence d’une épreuve facultative de langue comme gage de diversité des candidats, elle désapprouve totalement les coefficients prévus pour ces deux épreuves. En effet l’addition de ces deux épreuves de langue avant modification du projet de l’ENM conduisait à les mettre au même niveau que les deux épreuves techniques. L’AJM souhaite que la première épreuve de langue obligatoire soit d’un coefficient 3 et la seconde facultative d’un coefficient 1.

Sur les épreuves techniques - Rajouter une épreuve de connaissance sur le fonctionnement de l’Etat et le droit public. L’AJM est favorable aux deux nouvelles épreuves de droit technique. Elle souhaite, comme déjà expliqué, que soit ajoutée une épreuve orale d’organisation de l’Etat pouvant comporter le même coefficient.

Sur les tests psychologiques - Suppression pure et simple. L’AJM dénonce de toute sa force l’introduction des tests psychologiques et de personnalité tels que prévus dans cet avant projet. L’AJM considère que l’utilisation qui sera faite de ces tests est hypocrite. Sans être en soi éliminatoire, ils seront soumis à l’appréciation du jury qui pourra, pour les épreuves de simulation et d’entretien, rendre une note éliminatoire après leurs analyses. Aucun contrôle ne permettra de faire la différence entre les différents candidats et aucun moyen de vérification de l’utilisation de ces tests ne sera possible. La présence d’un psychologue dans le jury n’apporte aucune garantie sur l’interprétation de ces tests et leur utilisation. L’AJM rappelle que seule une expertise psychologique ou psychiatrique permet, sous réserve des divergences entre les experts, de dire s’il existe des profils pathologiques. Elle souhaite donc purement et simplement le retrait de ces tests de personnalité qui, comme elle l’a déjà dit, sont soumis à interprétation et peuvent être préparés par les candidats qui disposent des moyens suffisants. L’AJM considère que c’est essentiellement au stade de la formation initiale que les profils problématiques pourront le mieux être décelés. L’AJM souhaite que l’ENM joue pleinement son rôle de filtre et prenne toutes ses responsabilités dans ce domaine. Elle fait donc dans un document annexe des propositions précises permettant la création de véritables filtres lors de la formation initiale.

Sur l’épreuve de simulation - Préciser ses objectifs et son déroulement. L’AJM est en l’état réservée quant à l’épreuve de simulation, en ce qu’elle considère que ses objectifs ne sont pas clairement déterminés. De plus, l’AJM craint l’inéquité de cette épreuve selon le découpage par groupe. L’AJM souhaite qu’il soit bien précisé que cette épreuve doit permettre d’apprécier la capacité du candidat à interagir avec les autres et à travailler dans un collectif. De même, l’AJM souhaite qu’il soit précisé que c’est au stade du débriefing avec le candidat que l’évaluation de celui ci pourra être faite, afin notamment d’éviter les aléas des découpages des groupes. Enfin, l’AJM rappelle qu’une épreuve même d’une demi-heure ne peut suffire pour apprécier les qualités humaines d’un candidat.

Sur l’entretien avec le jury - Supprimer la fiche de renseignement individuelle. L’AJM s’inquiète de la dépréciation prévue de l’entretien avec le jury. Elle acceptera qu’il ne s’agisse plus d’un oral de culture générale qu’à la condition qu’une réelle épreuve de culture générale soit prévue à l’écrit. Sur les modalités d’un oral dit de recrutement, l’AJM conteste l’utilisation de la “fiche de renseignement individuelle”. Elle s’oppose à ce que soient posées les questions finales sur les livres, les films et la région du candidat, en ce qu’elles ne sont en rien liées à l’exercice de la fonction de magistrat et peuvent être totalement trompeuses et préparées par le candidat disposant des moyens suffisants pour faire appel aux services d’une entreprise de recrutement. L’AJM demande donc la suppression de cette fiche de renseignement. La réponse spontanée à des questions posées permettra nettement mieux au jury de réaliser son objectif.

Sur la composition du jury- Scinder en deux le jury et ne pas oublier les magistrats. Enfin, l’AJM souhaite exprimer son étonnement de voir dans la liste des 7 personnalités du jury assurant l’évaluation des simulations et des entretiens un seul magistrat de l’ordre judiciaire et la présence de représentants de la société civile ou de spécialiste du recrutement. Tout d’abord, l’AJM considère que 7 personnes pour les deux dernières épreuves est un nombre nettement trop élevé au regard des objectifs fixés. Ensuite, l’AJM souhaite que soient précisés les critères de compétence des personnalités du jury et leur intérêt dans le recrutement des magistrats. Enfin, si l’AJM est intéressée par la modification de la composition du jury comprenant des personnalités variées et une minorité de magistrats, elle s’interroge sur le rôle des 3 magistrats de l’ordre judiciaire prévus, puisqu’ils ne participeront pas à l’épreuve majeure. Il serait nettement plus opportun de scinder le jury en deux pour les épreuves d’entretien et de simulation en fixant une note distincte pour chaque épreuve. Cela permettrait un regard croisé sur les candidats et affinerait l’appréciation du jury. La difficulté serait alors de réfléchir à des objectifs clairs et précis de l’épreuve de simulation, ce qui n’est pas fait dans cet avant projet.

IV- En conclusion :

L’Association des Jeunes Magistrats regrette qu’en raison notamment du calendrier de la réforme de l’Ecole Nationale de la Magistrature, il ne soit pas possible d’engager un large débat public sur le recrutement des magistrats. Elle a conscience de ne pouvoir que réagir aux propositions de l’ENM alors qu’une véritable refonte du recrutement devrait être envisagée. L’AJM fait cependant des propositions concrètes afin d’assurer un recrutement diversifié de magistrats disposant de qualités techniques et humaines certaines, et de conduire l’ENM à assumer toutes ses responsabilités quant à l’aptitude des magistrats lors de la formation initiale. L’AJM considère que le projet engagé par l’ENM ne répond pas à ces attentes. Elle restera très vigilante sur les suites données à ses contre propositions et mettra en place, si l’ENM ne le fait pas, les débats publics nécessaires à une véritable évolution de la magistrature.

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