Juge d’instruction

Un Juge de l’Enquête et des Libertés : Kesako ?

Une des grandes annonces du rapport LEGER, qui confirme sans surprise la suppression du juge d’instruction (JI), est la création d’un Juge de l’Enquête et des Libertés (JEL) comme contre pouvoir au procureur de la république dont, au passage, le statut n’est pas modifié. Toute la stratégie de communication tourne autour de ce juge du siège qui pourra imposer des décisions au procureur de la république. Dès lors qu’un juge aura un regard sur l’enquête menée par le Procureur de la République, l’indépendance de la justice est assurée et il n’est pas besoin de renforcer celle du procureur de la République. Mais concrètement, ça donne quoi ?

Madame le Garde des Sceaux a affirmé le 2 septembre 2009 sur EUROPE 1 que “les juges d’instructions ont vocation à devenir des juges de l’enquête et des libertés”. Dans le même temps, elle a expliqué que les juges de l’enquête et des libertés (JEL)auront plus de droit qu’aujourd’hui puisqu’ils auront un regard sur l’ensemble des procédures et pas seulement sur les 4 % de procédures soumises au Juge d’Instruction. Le JEL pourra ordonner “un certain nombre d’actes” et “aller contre la décision du procureur de la république de ne pas poursuivre”.

“Un certain nombre d’actes”Il faut avouer que les pouvoirs de ce JEL sont loin d’être définis. En général, et si on se base sur les quelques lignes sur le sujet dans le rapport LEGER, le JEL interviendra pour toutes les mesures attentatoires à la liberté des personnes (perquisitions, écoutes téléphoniques, détention) et pour toutes les demandes d’actes refusées par le Procureur de la République. En aucun cas il interrogera la personne ou effectuera des confrontations. L’actuel Juge des Libertés et de la Détention (JLD) dispose déjà du pouvoir d’autoriser des mesures attentatoires aux libertés. Soit il n’y a pas de juge d’instruction et c’est le JLD qui accepte les perquisitions lorsque le mis en cause la refuse et, pour une durée très limitée, les écoutes téléphoniques, soit il y a un juge d’instruction et le JLD n’intervient que pour le contentieux de la détention. Dès lors que le JI est rayé de la carte judiciaire, le JLD, sous l’appellation JEL interviendra dans tous les dossiers. L’innovation est donc qu’il aura le même pouvoir dans tous les dossiers. La grande différence avec le système actuel est qu’un même juge du siège pourra prendre une décision sur le fond du dossier et sur la détention de la personne là où depuis 2000 la décision de la détention provisoire ne peut être prise qu’en cas d’ouverture d’information, et par un juge distinct de celui qui mène l’enquête. Cette séparation du contentieux de la détention avec l’enquête était une réforme majeure de la procédure pénale car elle visait à limiter les abus de détention et à imposer un double regard sur une telle décision. Bien sûr le rapport LEGER propose une collégialité sur les décisions de la détention mais elle est facultative soit à la demande de la “partie” soit sur initiative du JEL. La collégialité est donc à la carte et rien n’interdit la confusion des rôles. De deux choses l’une : soit le JEL s’impliquera dans les dossiers pour prendre des décisions réfléchies et pesées et on peut considérer que lui accorder le contentieux de la détention est un retour en arrière sur les droits de la défense ; soit c’est une chambre d’enregistrement des décisions du parquet et lui accorder le contentieux de la détention n’est pas sérieux.

“Aller contre la décision du procureur de la république de ne pas poursuivre”Bien sûr, il ne faut pas entendre cette phrase de Madame la Ministre comme la reconnaissance au futur JEL d’un droit de regard sur la décision du procureur de la République. En aucun cas il ne peut s’agir d’une chambre d’appel des décisions de classements sans suite. Cela contreviendrait au principe même du pouvoir du procureur. Cette phrase signifie que la victime pourra, comme la partie civile actuelle, demander à un juge du siège d’imposer au parquet de mettre en mouvement l’action publique. Mais le rapport LEGER limite cette faculté aux affaires criminelles. En cas de délit ou de contravention, la victime ne pourra que faire une citation directe devant le tribunal qui n’aura comme dossier que l’enquête diligentée par le parquet qui aura estimé qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre ... Le JEL interviendra aussi pour imposer au Procureur de la République des actes d’enquêtes lorsque ce dernier les refusera. Il n’est donc que l’interface entre la victime et le parquet. Mais comment assurer dans ce cas une réelle implication du parquet dans la conduite de l’enquête puisque selon lui cette enquête ne devrait pas être menée ou l’acte pas réalisé ? De deux choses l’une, soit le parquet jouera complètement le jeux et il n’y aura rien à redire, soit il traînera des pieds et il sera nécessaire à un moment donné que le JEL pallie concrètement à l’absence du parquet. Or par principe c’est impossible. Il ne peut pas donner des ordres aux enquêteurs, car sinon il serait juge d’instruction. Alors que faire ?

Quel statut pour le JEL ? Quelle place accorder à un juge qui n’entrera pas complètement dans les dossiers puisqu’il n’effectuera pas d’actes lui même, mais prendra des décisions attentatoires aux libertés ? Le risque est grand que le JEL soit un JLD bis, un juge du siège non protégé statutairement. Contrairement au Juge d’Instruction qui est nommé par décret à une fonction déterminée, le JLD est désigné à cette fonction par le Président de la juridiction. Ce dernier peut donc à tout moment décharger un juge de son tribunal de ses fonctions de JLD, lui enlever un dossier, ou lui attribuer d’autres fonctions. Des exemples récents montrent la précarité de son statut. Il ne gère pas de cabinet mais reçoit les dossiers au fur et à mesure. Ainsi, à Paris, pour plus d’une 50aine de juges d’instruction, il n’y a que 7 JLD ! A supposer qu’on décide d’accorder aux JLD un cabinet propre avec un nombre de dossiers déterminés qu’il suivra tout au long de l’enquête, cela signifie qu’il s’y impliquera. Se posera donc le problème de la double casquette avec le contentieux de la détention. Se posera aussi la question de son statut. S’il n’est pas inamovible, il ne peut pas être indépendant. Le Procureur de la République pourrait se plaindre auprès du Président de la juridiction que tel JEL prend des décisions contraires à sa volonté et qu’il convient d’en changer, ce qui pourrait être amené à faire un Président !

Alors, on présente la nouvelle procédure pénale comme plus simple qu’actuellement. Mais concentrer les pouvoirs de contrôle d’une enquête à un juge du siège qui aura aussi le pouvoir de placer en détention, est ce plus simple ou surtout rétrograde pour les droits de la défense ? Confier à un juge du siège le pouvoir de contrôle d’une enquête alors même qu’il n’est pas inamovible dans ses fonctions, est ce plus simple ou attentatoire à l’indépendance de la Justice ?

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