Réforme de l’ENM

Avis de l’AJM sur les 21 propositions faites par M. THONY, directeur de l’ENM, en vue de la reforme du recrutement et de la formation des magistrats

L’Association des Jeunes Magistrats souhaite réagir point par point aux 21 propositions du Directeur de l’ENM intitulées « repenser l’école pour préparer la justice de demain » tout en étant consciente qu’il s’agit uniquement d’orientations et non de propositions définitives et qu’un débat plus précis sera par la suite engagé.

LA MODERNISATION DES CONCOURS D’ACCES

Proposition 1 : Modifier et diversifier la composition du Jury

La présence de personnalités permettant un regard croisé sur les candidats nous semble aller dans le bon sens même s’il est à nos yeux important que soit conservé un équilibre avec la présence de magistrats et juristes, notamment lors du grand oral. De plus il convient de veiller à ce que la composition du jury permette toujours d’assurer le contrôle des compétences techniques juridiques des épreuves orales.

Proposition 2 : Mettre en phase les épreuves des concours avec les objectifs de recrutement

Les modifications proposées des épreuves écrites et notamment des épreuves juridiques nous semblent nécessaires afin d’actualiser les épreuves et coller aux objectifs du recrutement des magistrats. Il en est de même de la modification de l’orientation du grand oral qui plus tourné vers un oral permettant d’évaluer les qualités humaines mettra les candidats sur un pied d’égalité notamment sur leurs connaissances culturelles.

L’AJM est plus mesurée sur la nécessité de l’instauration des tests de personnalité et d’aptitude car ils sont déjà très critiqués pour les concours de commissaire et de lieutenant de police. Leur insécurité, leur possibilité d’être préparés (ce que font d’ailleurs nombre de préparations privées), et leur aléa nous font penser que leur intérêt est très limité au regard de leur coût. D’autres mesures nous semblent mieux à même de veiller au recrutement de personnes ayant des qualités humaines incontestables, comme les simulations de groupe qui pourraient être centrées sur le relationnel, le travail de groupe et la sociabilité.

Le rééquilibrage des coefficients nous semble correspondre à une modernisation du recrutement. Il conviendra toutefois d’assurer par leur détermination la diversité du recrutement et l’égalité des candidats.

L’ensemble de ces mesures nous semble devoir s’appliquer pour les trois concours sans distinction. Si des tests de personnalité sont imposées à l’entrée du concours, l’AJM ne comprendrait pas, sauf à penser que les personnalités d’expérience ont forcément les qualités humaines nécessaires, qu’ils ne soient pas imposés à tous les candidats dont ceux recrutés sur titre et par recrutement direct.

Proposition 3 : Renforcer les classes préparatoires

Cette proposition nous semble nécessaire afin d’assurer la diversité du recrutement.

Proposition 4 : Faciliter l’accès à l’ENM des personnes ayant une expérience professionnelle

Cette proposition va dans le sens de la diversité du recrutement à condition que l’ouverture du cycle préparatoire pour le deuxième et troisième concours ne conduise pas à un affaiblissement de sa qualité. L’AJM s’interroge en effet sur les conséquences de la transformation du cycle en une préparation par correspondance. Elle s’interroge aussi sur les conséquences de la suppression du financement par l’Etat de la participation à ce cycle, en terme de confort de préparation pour un concours difficile pour des fonctionnaires en exercice.

La revalorisation du traitement des auditeurs ayant une expérience professionnelle antérieure, quelque soit le mode de recrutement du magistrat, est une très bonne initiative si sa mise en oeuvre est possible financièrement. L’AJM tient cependant à préciser qu’au delà de l’aspect financier lors de la formation, la prise en compte de l’ancienneté professionnelle au cours de l’exercice de la fonction, la considération par les collègues, et les facilités de passer du second au premier grade doivent être repensées afin de garantir l’attrait pour ces personnes à la profession de magistrat.

LA FORMATION INITIALE

Proposition 5-6-9 : Une période initiale de formation centrée sur l’acquisition des compétences fondamentales du magistrat - Une période de spécialisation plus poussée - Réintroduire le stage extérieur obligatoire

Ces trois propositions nous semblent devoir être regroupées en ce qu’elles mettent en place un nouveau séquençage de la formation initiale.

Ce séquençage est confronté, au delà des difficultés matérielles et financières qu’il engendre nécessairement, au risque de spécialisation des magistrats dès leur entrée à l’ENM puisqu’il peut conduire, poussé à l’extrême, à ne les former malgré un premier temps de formation au métier de magistrat essentiellement à la fonction choisie. Il nous semble important de rappeler que former au métier de magistrat c’est aussi former à la diversité des fonctions du magistrat et que l’ENM doit assurer une formation des fondamentaux de chaque fonction tant théorique que pratique sans quoi l’apprentissage des conséquences des décisions du magistrat sur l’ensemble du processus judiciaire sera mis à mal.

La spécialisation des magistrats dans leur carrière ne nous semble pas devoir être abordée lors de la période initiale notamment parce que le premier poste du magistrat peut résulter d’arbitrages prenant en compte sa situation personnelle (géographique et/ou familiale) ou des aléas de l’examen de sortie. Il serait donc regrettable de faire reposer une grande partie de la formation initiale du magistrat sur la nature du premier poste qu’il occupera, parfois brièvement.

La multiplicité des lieux de formation et des incompatibilités qui peuvent en découler sur le choix de la première fonction peut également avoir pour effet de dissuader les candidats ayant une expérience professionnelle antérieure et qui souvent ont une vie familiale déjà construite. Ces considérations prennent une importance accrue à l’heure où près de la moitié des auditeurs de justice sont désormais plus âgés car issus d’une voie de recrutement « professionnelle » et non universitaire.

Le stage extérieur ne nous semble pas réintroduit puisqu’il était déjà prévu à cette place, même si diminué dans sa durée, lors du séquençage voté par le Conseil d’Administration le 3 juillet dernier. Il ne permettra l’ouverture du magistrat que dans le cadre de sa future fonction alors qu’il aurait pu être intéressant d’assurer l’ouverture du magistrat dans l’apprentissage de son métier. Un autre positionnement de ce stage, après le stage avocat, mais avant le choix du poste, soit en première partie de scolarité nous semble plus opportun même si un stage extérieur lié à l’ouverture fonctionnelle a aussi un intérêt.

L’AJM est donc en l’état réservée sur la mise en place de ce séquençage notamment en ce qu’il peut conduire aux prémisses de la spécialisation des magistrats dès leur formation initiale.

Proposition 7-8 : Une scolarité sanctionnée par un diplôme - Repenser l’évaluation des auditeurs de justice

Sanctionner la scolarité par un diplôme délivré par l’Ecole nous paraît intéressant pour ceux qui souhaitent continuer leurs études ou obtenir des équivalences ou des reconnaissances à l’extérieur de la magistrature. Pour la majorité des magistrats, cette mesure ne modifiera en rien le quotidien et l’évolution professionnelle. Si ce diplôme ne modifie en rien le contenu de la formation et la manière dont elle est réalisée, il s’agit d’un plus que chaque magistrat pourrait être amené à utiliser. S’il conduit à renforcer l’enseignement scolaire et à modifier le contenu de la formation, un système d’équivalence facultative pourrait permettre d’obtenir le même résultat pour ceux qui le souhaitent. Enfin, l’instauration d’un diplôme peut être positif s’il permet à l’Ecole de prendre toutes ses responsabilités dans la gestion des personnalités pouvant poser des difficultés humaines à l’exercice du métier de magistrat.

Les modifications de l’évaluation proposées n’indiquent pas à ce stade du projet les modifications nécessaires sur l’évaluation du stage juridictionnel et la place des différentes parties de la formation dans l’évaluation finale. De même le projet ne donne pas de pistes d’orientation concernant l’éternel débat de qui décide de l’aptitude des magistrats à exerces les fonctions : est- ce le rôle de l’ENM ou du jury de l’examen de classement ?

L’AJM souhaite que l’évaluation de l’auditeur de justice ne tourne pas à une infantilisation de celui-ci, notamment par l’introduction d’un livret de l’auditeur, ou des épreuves inadaptées à un enseignement professionnel. L’Association regrette que l’occasion ne soit pas saisie de remettre véritablement à plat le système d’évaluation de l’auditeur dont l’efficacité n’est pas indiscutable. Il nous semble que dans une optique de formation professionnelle, il convient de laisser l’auditeur à l’abri de toute crainte relative à la notation, afin d’éviter qu’il s’abstienne de poser des questions, de se remettre en cause de peur que cela ne se ressente sur sa notation. L’instauration d’un système déclarant l’auditeur apte ou inapte à exercer les fonctions de magistrats, sans être perpétuellement notés, aurait pu être envisagée.

S’il nous paraît intéressant de donner plus de poids au CSM dans l’avis sur l’exercice des fonctions de l’auditeur de justice, nous regrettons que le système proposé puisse conduire à ce qu’un auditeur ayant choisi une fonction et suivi 11 mois de formation soit finalement interdit de l’exercer. Même si nous comprenons pourquoi ce nouveau système est proposé, nous regrettons que les incompatibilités fonctionnelles ne permettent plus d’interdire avant le choix du poste, une fonction.

Proposition 10 : Renforcer les partenariats avec les autres écoles de la justice et le monde universitaire

Nous ne pouvons que souhaiter ce renforcement des liens afin d’assurer la modernisation de l’ENM. Nous souhaitons seulement préciser qu’il ne nous paraît pas opportun que l’école dispose du monopole de la recherche et de la réflexion sur les pratiques de la justice, comme il sera développé ci-après.

LA FORMATION CONTINUE

Proposition 11 : Une formation continue au service de la gestion des ressources humaines

Il est au préalable important de noter la formulation de cette proposition. La formation continue ne sera pas au service des magistrats mais de la gestion des ressources humaines.

L’idée de permettre aux Chefs de Cour, dans le cadre des entretiens d’évaluation, de « proposer voire imposer » des formations continues ne peut s’envisager sans une réflexion sérieuse de la façon dont sont évalués les magistrats actuellement. Par ailleurs, l’AJM s’interroge sur les conséquences pour un magistrat qui refuserait la formation préconisée, et même imposée, par un Chef de Cour.

Proposition 12 : Offrir un catalogue de formations longues de spécialisation

L’idée est intéressante, et prévoit que ces formations seraient compatibles avec le maintien d’une activité juridictionnelle. Il conviendrait de préciser cependant si cela implique une décharge fonctionnelle, car dans la négative ces possibilités ne resteraient que théoriques.

Proposition 13 : Une formation continue en soutien au changement de fonction

Renforcer la formation proposée au moment du changement de fonction ne peut qu’être approuvé. Cependant, ces cinq semaines, deux théoriques et trois pratiques, ne sauraient se substituer à la formation théorique initiale et aux 6 semaines de stage fonctionnel actuellement prévus. La question de la découverte des partenaires, connaissance indispensable au bon exercice d’une activité juridictionnelle quelle qu’elle soit (stage PJJ, stage pénitentiaire, stage auprès des services d’enquête, stage huissier), ne semble pas réglée par cette proposition.

Par ailleurs, la possibilité pour l’ensemble des magistrats mutés simultanément de s’absenter 5 semaines de leur juridiction d’origine nous paraît pratiquement irréalisable. L’AJM entend, sur ce point, que des précisions concrètes soient apportées pour que cette proposition ne soit pas un vœu pieux.

L’OUVERTURE EUROPEENNE ET INTERNATIONALE DE L’ECOLE

Proposition 14 : Assurer la maîtrise des langues étrangères

Les propositions concernant le renforcement de l’enseignement des langues sont intéressantes mais on peut regretter que ces efforts ne soient concentrés que sur la langue anglaise. De plus, l’AJM est réservée quant à la scolarisation de cet enseignement, son caractère obligatoire et sur l’intérêt de le sanctionner par une épreuve lors de l’examen de classement.

Une réflexion en partenariat avec les IEJ et les facultés serait intéressante afin que les étudiants puissent maintenir un niveau de langue correspondant aux exigences de l’ENM sur ce point.

Proposition 15 : Assurer la maîtrise du droit communautaire et du droit international

La proposition concernant la mise au programme du concours d’entrée d’épreuves sur le droit communautaire et le droit international est conforme aux objectifs de modernisation du concours mais l’attention doit être portée sur la nécessité de ne pas multiplier les épreuves techniques et de préciser les lignes directrices de ces épreuves. La proposition de rendre obligatoire un stage à l’étranger, pour tous les auditeurs, est intéressante. Cependant, il est regrettable qu’il ne soit envisagé qu’un stage dans la fonction choisie par l’auditeur en premier poste. En effet, cela renforce encore les prémisses d’une spécialisation du magistrat ab initio, tendance sur laquelle l’AJM est particulièrement réservée.

Par ailleurs, les stages extérieurs à l’étranger permettaient également de découvrir le rôle du magistrat de liaison, ou d’un magistrat délégué auprès du ministère des affaires étrangères et affecté en tant que conseiller d’un ambassadeur. Ces expériences allaient pourtant dans le sens d’une ouverture du magistrat sur son environnement social et administratif.

Proposition 16 : Améliorer la connaissance des systèmes juridiques et judiciaires étrangers

L’amélioration de la connaissance des systèmes judiciaires étrangers va dans le bon sens permettant la modernisation de la formation des magistrats.

LE RAYONNEMENT DE L’ECOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE

Proposition 17 : Développer la recherche

L’AJM rappelle que les activités de recherche sont inséparables d’une indépendance totale des chercheurs afin de préserver la liberté résultant de la nature même du métier de chercheur, et de garantir par conséquent que ce pôle de recherche soit un espace de débats et de réflexion libre au service non pas de l’ENM mais des magistrats et des citoyens.

De plus, l’AJM rappelle que des structures indépendantes existent déjà et que leur développement permettrait de garantir l’autonomie nécessaire à un pôle de recherche de la justice.

Proposition 18 : Renforcer la présence de l’ENM dans le monde

L’AJM ne peut être que favorable au maintien de la présence de l’ENM dans le monde sans que le modèle qu’elle a si longtemps exportée soit remis en cause.

L’ORGANISATION INSTITUTIONNELLE

Proposition 19 : Assurer la qualité et la diversité du recrutement du corps enseignant

L’AJM s’interroge sur les raisons du changement de qualification entre « chargé de formation » et « professeurs à l’ENM », qui renforce le sentiment que la période de formation initiale devient très scolaire au détriment d’une formation professionnelle générale. Il en est de même pour l’intervention de non magistrats titulaires de chaires de professeurs. En effet, l’ENM ne doit plus être le temps de cours de droit théorique et il faut concrètement s’interroger sur ce que ces professionnels peuvent apporter aux auditeurs dans l’apprentissage des techniques professionnelles comme la rédaction d’un jugement ou d’un réquisitoire, et dans l’optique de leur prise de fonction future.

L’AJM se réjouit que ces postes de « professeurs à l’ENM » soient inclus dans les grilles de desiderata, mais insiste pour que cette réforme ne soit qu’un premier pas vers plus de transparence sur les critères de recrutement de ces magistrats.

Concernant les « magistrats enseignants associés », l’absence de toute décharge fonctionnelle correspondant à cet engagement laisse craindre un moindre investissement, faute de temps, de ces magistrats.

Proposition 20 : Doter les magistrats délégués à la formation d’un véritable statut d’emploi

Cette proposition doit être approuvée mais doit cependant aller de pair avec une réflexion et une modification profondes du système d’évaluation de l’auditeur. Par ailleurs, si le rôle du magistrat délégué à la formation mérite d’être renforcé et reconnu, l’AJM s’étonne fortement du silence de ce projet sur les maîtres de stage eux-mêmes. Ceux-ci ne sont toujours pas désignés en fonction de leur motivation et de leurs compétences pédagogiques, ne disposent d’aucune formation spécifique et d’aucune rémunération pour la charge de travail occasionnée si cette tache est effectuée sérieusement. Il reste toujours possible d’être maître de stage au bout d’un ou deux mois d’ancienneté, ce qui laisse songeur quant aux possibilités réelles de transmission du savoir ou de l’expérience acquise.

Proposition 21 : Instaurer un système de tutorat des magistrats affectés dans leurs nouveaux postes

Cette proposition est formulée de manière très imprécise tant en ce qui concerne ses objectifs, son contenu que ses modalités d’application notamment son caractère obligatoire ou non et sa durée. Elle pourrait se révéler contraire au statut du magistrat et contre productive.

Les objectifs de ce tutorat peuvent être discutés. Pour l’AJM, il ne peut être question d’un suivi fonctionnel et technique puisqu’il reviendrait à prolonger la période de formation et à empiéter sur le rôle des associations fonctionnelles. Son intérêt ne peut résulter que dans l’offre pour le magistrat en début de carrière d’un espace de parole et de recul sur sa fonction et ses pratiques. Par conséquent son caractère obligatoire peut être discuté. De même l’AJM est par principe défavorable à ce qu’il soit organisé au sein de la juridiction du magistrat. Le tuteur ne doit pas non plus être éloigné des préoccupations du magistrats en début de carrière afin de lui apporter des réponses adéquates. Enfin, le succès de la mise en place d’un tutorat « institutionnel » dépend de la confiance qui s’instaura entre le magistrat en début de carrière et le tuteur. Il est dès lors hors de question que la teneur des échanges puisse être utilisée notamment dans la notation du magistrat.

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