Réflexions/Débats

La question préjudicielle de constitutionnalité

L’Association des Jeunes Magistrats (AJM) se félicite de l’instauration d’un mécanisme permettant aux citoyens de veiller à la constitutionnalité des Lois. Cette réforme aura un impact sans précédent sur notre culture juridique puisque jusqu’à présent les lois promulguées étaient considérées comme forcément constitutionnelles en raison du contrôle a priori confié notamment aux parlementaires. En permettant aux citoyens d’exciper de l’inconstitutionnalité d’une loi même après sa promulgation, la Loi Constitutionnelle les associe à la protection du caractère fondamental et suprême de notre Constitution et élargit d’autant le champs des valeurs républicaines et humanistes dont elle est le socle.

Cette progression inédite de l’Etat de Droit aurait pu se concrétiser par la mise en place d’une procédure de saisine directe du Conseil Constitutionnel par un quorum de citoyens. Le mécanisme de la question préjudicielle posée au Conseil Constitutionnel par l’intermédiaire des juridictions semble avoir été préféré.

Le Congrès réuni le 23 juillet 2008 a en effet clairement opté pour ce système au regard de l’article 29 de la Loi Constitutionnelle qui dispose : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peutêtre saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »

L’AJM ne prétend pas revenir sur le choix qui a été fait par le Congrès mais observe, d’une part, qu’il attribue au juge ordinaire un rôle "charnière" dans la mise en oeuvre de ce nouveau droit et, d’autre part, que l’enjeu essentiel de la nouvelle procédure sera d’éviter les manoeuvres dilatoires ou abusives tout en assurant son efficacité et son effectivité.

Les observations de l’AJM sur le projet de Loi Organique, que vous avez bien voulu nous faire l’honneur de solliciter par votre courrier du 10 décembre 2008, s’articuleront donc autour de ces deux aspects particuliers.

La mise en oeuvre de la question préjudicielle de constitutionnalité pose principalement la question de son effet suspensif sur la procédure en cours d’instance.

Une possibilité serait de prévoir que la question préjudicielle n’a pas d’effet direct sur le déroulement de la procécure en cours. Le juge rendrait sa décision indépendamment de l’instance introduite devant le Conseil Constitutionnel. Dans l’hypothèse où cette décision s’avérerait non conforme à l’avis rendu par le juge constitutionnel, elle serait réformée et le justiciable lésé pourrait être indemnisé selon le modèle mis en place pour les recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Ce système aurait pour mérite essentiel de décourager les questions préjudicielles abusives et dilatoires, posées dans le seul but de ralentir l’instance en cours devant le juge judiciaire ou administratif. Mais il aurait pour conséquence fâcheuse de vider de sa substance l’intérêt de la question préjucielle.

L’effet suspensif de la question préjudicielle sur l’instance en cours paraît donc s’imposer. L’AJM s’inquiète cependant du ralentissement prévisible des procédures concernées, d’autant que la lenteur de la Justice est un reproche récurrent des citoyens. Nous espérons donc qu’un délai très strict sera fixé pour que le Conseil Constitutionel rende son avis. L’AJM considère que le délai de 6 mois proposé est satisfaisant mais suggère qu’il soit réduit à 4 mois lorsque le demandeur à la question préjudicielle fait l’objet d’une mesure restrictive de liberté.

Il est à espérer que de tels délais seront de nature à contrarier les stratégies dilatoires. Un autre garde-fou pourrait être aussi instauré : limiter le droit d’une partie à saisir le Conseil Constitutionnel à une question ou une série de question par instance.

L’AJM retient enfin qu’un premier filtrage des questions préjudicielles sera dévolu aux magistrats de première instance, chargés d’examiner le caractère "non manifestement infondé de la question". Nous nous préoccupons des nombreuses et différentes interprétations qui pourront être faites de cette disposition. L’AJM souhaite donc que la notion du caractère "non manifestement infondé" soit plus étayée par la Loi.

L’importance des enjeux, la spécialité de la matière et la nécessité d’unifier les interprétations pourraient justifier que ce premier examen de la recevabilité de la question préjudicielle soit confié à un collège de magistrats spécialement désignés au sein du Tribunal.

L’AJM souhaite que le concours d’entrée et la scolarité à l’ENM tiennent compte de l’évolution juridique sans précédent que nous avons mesurée en introduction. Cela suppose que le droit constitutionnel et les libertés publiques soient consacrés avec plus de place que dans la réforme nouvellement adoptée de l’ENM.

L’AJM souhaite en outre que l’ENM offre dès maintenant en formation continue, c’est à dire pour les magistrats en exercice, un enseignement du droit constitutionnel permettant notamment d’enrichir notre perception des fondamentaux constitutionnels.

L’AJM prévoit que des moyens matériels et humains substantiels devront être apportés aux juridictions et surtout au Conseil Constitutionnel pour lui permettre de respecter avec rigueur les délais de réponses ci-dessus définis et faire face à l’accroissement prévisible d’activité que la réforme occasionnera.

L’AJM déplore en effet que de trop nombreuses réformes judiciaires soient partiellement privées d’effets pratiques, faute de moyens pour les mettre en oeuvre. Les Juges devront se tenir informés des décisions du Conseil Constitutionnel afin de vérifier s’il a déjà eu à se prononcer sur une question similaire. Ils devront aussi s’informer des décisions de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat quant à la saisine ou non du Conseil Constitutionnel et l’appréciation de la validité des questions préjudicielles de constitutionnalité. Afin de faciliter leur tâche et de rendre plus effectives ces vérifications, l’AJM souhaite que le Conseil Constitutionnel puisse mettre à la disposition des Juges un site internet à jour et efficace comprenant le recensement des décisions du Conseil ainsi qu’un moteur de recherche simplifiée de ses décisions. De même, la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat devront se doter d’un outil efficace similaire.

En conclusion, l’AJM considère que cette réforme d’envergure doit s’accompagner d’une véritable campagne d’information à destination du grand public quant à l’existence de cette question préjudicielle mais aussi sur le système constitutionnel et la hiérarchie des normes. L’AJM insiste sur le fait que les citoyens ignorent pour la plupart que la Constitution est la Loi Fondamentale et suprême de la Nation et qu’elle ne se limite pas à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Cette réforme importante, génératrice d’un droit inédit et exceptionnel pour les citoyens doit être l’occasion de renforcer leur instruction civique.

L’Association des Jeunes Magistrats est, vous le savez, très soucieuse du fossé qui sépare les citoyens de leur Justice. Elle mène depuis sa création de nombreuses actions à destination des citoyens afin de leurs expliquer le fonctionnement de leur Justice. L’AJM sera par conséquent attentive aux initiatives qui seront menées pour que l’instruction civique soit renforcée et est prête à participer à toute action qui irait dans ce sens.

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Commentaires

1 Message

  1. La question préjudicielle de constitutionnalité

    question PRIORITAIRE de constitutionnalité ...

    par Mathilde | 20 janvier 2011, 17:45

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