Billets d’humeur

Faut il avoir peur de la Justice ?

Les médias ne sont toujours pas tentés d’analyser et de présenter le problème dans sa globalité. Pire, on nous roule perpétuellement dans le goudron et les plumes, ça devient lassant : l’autre soir devant ma lucarne (rappelons nous qu’il est inutile d’avoir peur de la télé : c’est un meuble !) une page de teasing m’informe d’une très prochaine émission (peut-être ce soir ou demain, je ne sais plus) présentée par Béatrice Schönberg sur la justice, éveillant naturellement mon intérêt. Après un bref inventaire des sujets susceptibles d’être évoqués, conclusion du teaser : titre du programme "Faut-il avoir peur de la justice"...

Que voulez-vous ? On aurait pu titrer "quelle justice pour notre société ?", "Les enjeux actuels de la justice", "Le devenir de la justice"... Pour quoi faire ? Le parti est pris dès le départ avec une question fermée, à réponse binaire, sans perspective autre que de faire frémir dans les chaumières, nous présentant au passage comme une bande d’inconscients insensibles dont le but obtus est de faire tourner sans état d’âme une moulinette à broyer les vies.

Dire qu’examiner n’importe quel thème à travers le prisme de la peur (synonyme de symptomatisations, fantasmes, amalgames, superstition, et autre sensibleries contre-productives) ne mène à rien de bon serait superflu : Mon opinion profonde est que ce phénomène de méfiance de l’opinion duquel notre institution ne parvient pas à sortir depuis Outreau (d’ailleurs, le fait que depuis, aucune affaire de cette ampleur ne se soit produite attise en rien l’intérêt des journalistes qui préfèrent continuer à gloser sur l’erreur judiciaire, qui n’est véritablement pas le fond du problème) procède d’un profond bouleversement de la société toute entière, d’une sorte de défaite qu’on reproche au dernier de ses remparts en quelques sortes. En effet, la justice est l’institution qui intervient quand toutes les autres composantes de la société (au premier rang desquels l’éducation, l’accompagnement social et la vigilance citoyenne...) ont échoué. Dès lors que l’ensemble de ces domaines sont en faillite, c’est la justice qui concentre toutes les passions et les frustrations et elle devient la cible qui incarne tout le dégout que notre société a d’elle même... Exemple le plus récent, dès qu’un criminel récidive, le premier reflexe est d’aller farfouiller dans le travail du dernier JAP qui a tenu son dossier. Pourtant la sécurité n’est qu’une vue de l’esprit, une superstition, elle n’existe ni dans l’état de nature, ni dans la société moderne. Quand l’idée de sécurité est remise en question (Quand je pense à ces centaines de joggeuses n’osant plus courir seules...) on reproche encore à la justice de "ne pas avoir fait son travail" : on voit bien que l’attente de l’opinion (habilement animée dans ses émotions par les médias et les politiques qui empiètent de plus en plus et sans rencontrer le moindre désaveu, dans le domaine de l’indépendance de la justice) est disproportionnée par rapport à notre mission et nos prérogatives (= les moyens mêmes qui nous ont été donnés par le Législateur, donc la société).

Et dans cette tempête, le mieux que l’on puisse faire est de garder le cap coûte que coûte, puisque la résolution du problème dépend de la société toute entière qui doit se remettre en question dans ses pratiques et réaffirmer ses principes : même si c’est ce que nous avons, pour une grande majorité, l’habitude de faire, nous ne somme pas en position de livrer la leçon, de proposer cette solution.

Au surplus, "sauver" notre institution seule et prise isolément reviendrait malheureusement à soigner un symptôme plutôt que de chercher à guérir la maladie. Néanmoins, dispenser les moyens au moins suffisants à notre mission, comme à celle des autres services publics serait le minimum pour commencer d’améliorer la situation globale...

Il semble que notre société se laisse malheureusement aller à une justice pauvre, une éducation pauvre, une recherche pauvre, des services pauvres... et continue à exiger le home cinéma et la sécurité la plus absolue.

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