Billets d’humeur

L’Affaire DSK ou les limites de la procédure accusatoire

Un homme les menottes aux poignets qui s’avance dans la nuit entouré de policiers en civil sous les flashs de journalistes. Le même homme filmé par les caméras du monde entier après 48 heures de « garde à vue », présenté devant une juge, un juge unique pour décider d’une détention. Face à elle l’accusation et la défense, une thèse contre une autre. Quelques minutes de débat et une décision prise sur la détention. Le procureur inculpe, le juge décide du placement sous contrôle judiciaire ou en détention, et les avocats n’ont que quelques minutes pour assurer la défense sans avoir accès à l’entier dossier ni aux éléments de l’accusation. Les dossiers s’enchaînent, à peine quelques minutes pour chaque situation et les décisions tombent.

Un lynchage médiatique sous prétexte de la liberté d’expression. Tout est montré, tout est dit, sans aucune retenue, sans tabou, sans aucun lien avec la qualité de la personne, ses revenus, son exposition médiatique. Cette sacro sainte liberté d’expression qui écrase de loin toute présomption d’innocence.

L’Affaire DSK nous montre les limites du système accusatoire dans toute sa violence mais sous un angle nouveau, épuré. L’attaque la plus répandue contre ce système portait sur l’atteinte à l’égalité des justiciables devant la Justice, selon qu’on soit pauvre ou puissant, riche ou misérable. De la capacité financière de la personne mise en cause à se défendre, à prendre des avocats, à payer des investigations comme des tests ADN, à payer des enquêteurs privés, dépendait l’évolution de sa situation pénale et sa condamnation. Combien, nous raconte-t-on, d’innocents condamnés pour ne pas avoir pu payer un test ADN qui les aurait disculpés ? Car le Juge, cet homme seul qui mène les débats et répartit la parole ne peut pas imposer des investigations oubliées par le Procureur. Il ne peut à lui seul rétablir l’équité entre la défense et l’accusation et assurer ainsi un minimum de justice pour tous.

Dans l’Affaire DSK, pas de favoritisme, de traitement de faveur pour les VIP : les menottes, les caméras et la détention. Peu importe les revenus ou les très grands avocats. C’est l’image d’une même Justice pour tous à la hauteur de la réputation de l’intéressé. Alors qu’est ce qui nous choque tant ?

C’est évidemment qu’il y a tromperie sur l’image. L’égalité des justiciables tant montrée par le système accusatoire n’est que théorique. D’abord, le long processus judiciaire va très vite nous rappeler que dans le système accusatoire, la défense a autant de poids que l’accusation. C’est à ce niveau là que l’inégalité va ressurgir entre les justiciables selon leurs ressources et leur capacité à se défendre efficacement. Ensuite, cette égalité théorique s’effondre dans les faits. Loin d’accorder le même traitement à DSK que pour les autres justiciables, la Justice américaine lui fait bénéficier d’un régime de détention favorable, à l’écart des autres détenus. L’égalité médiatique s’effondre devant l’inégalité concrête. C’est bien l’aveu que l’égalité des justiciables ne doit s’apprécier que subjectivement, au cas par cas, pour assurer à tous les mêmes droits, en tenant compte des situations diverses et des problématiques propres à chacun. Ce traitement judiciaire par l’image est finalement inefficace pour asseoir l’égalité réelle des justiciables.

Mais plus encore, ce qui choque c’est l’atteinte à la dignité humaine : le bafouement de la présomption d’innoncence pour assurer une liberté d’expression sanctuarisée. Le mis en cause est déjà coupable s’il choisit de plaider « not guilty ». Le système se venge si l’individu ne reconnaît pas les faits ce qui fait perdre du temps à tout le monde. « The shame » comme titrait un tabloïde s’abat sur lui et la meilleure justice est alors la justice médiatique. Le procureur étant seul représentant de l’accusation, et aucun juge ne pouvant assurer l’équité des investigations, seule l’image permet de donner le gage d’une Justice transparente. Ce poids de l’image est tellement écrasant que l’impression au final demeure d’un traitement inéquitable du fait de la renommée.

En France, la loi interdit de montrer des images d’une personne menottée. Elle interdit de donner des noms de personnes mises en examen. Elle interdit sauf exceptions restrictives de filmer les audiences. La Justice doit être apaisée et non tourner au spectable, à la vindicte populaire.

En France, pour les crimes et les délits complexes les investigations sont menées par un Juge d’Instruction qui peut saisir le Juge des Libertés et de la détention s’il considère que la détention est justifiée. Le mis en examen peut faire appel auprès de la Chambre de l’Instruction composée de trois magistrats. Cinq juges peuvent donc intervenir en quelques jours pour décider de la détention d’une personne. Les avocats ont accès à l’entier dossier avant qu’une décision sur la détention puisse être rendue.

En France, le Procureur ne peut pas décider seul pour les crimes et les délits complexes de l’inculpation des personnes, parce qu’il représente la Société et que les intérêts de la défense doivent aussi être assurés.

En France, dès le départ, l’Affaire DSK n’aurait jamais pu être traitée de cette façon là. Le système accusatoire lorsqu’il est à son paroxysme de violence, et n’est plus que machine à broyer s’éloigne de l’idée de Justice qui nécessite recul et apaisement. Evidemment une affaire similaire en France pourrait théoriquement être étouffée du fait des relations parfois trop floues entre le parquet et le pouvoir exécutif. Evidemment il est toujours plus nécessaire que jamais d’assurer des garanties d’indépendance fortes au ministère public. Evidemment, notre système pénal est perfectible. Mais sur un simple aspect du respect de la dignité humaine et de la présomption d’innoncence, quitte à ne pas être parfait, notre système est encore préférable.

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Commentaires

3 Messages de forum

  1. L’Affaire DSK ou les limites de la procédure accusatoire

    Tant d’innocent on été condamné aux états Unis allant jusqu’à la peine de mort car ils n’avaient pas d’argent pour payer ces enqueteurs privés et les contre analyses adn que les americains n’ont surtout pas de morale à donner au francais.

    par coco | 25 mai 2011, 02:29
  2. Orgueil et Préjugés

    J’interviens avec retard, mais ce post comprend trop d’approximations et d’amalgames pour être laissé sans réponse.

    Commençons par le début : le lien, fait par d’autres (E. Guigou) entre procédure accusatoire et "non-respect de la présomption d’innocence", dont on rappellera, qu’en France, elle n’est pleinement devenue droit subjectif qu’en 2000. Il n’y a strictement aucun lien entre la procédure accusatoire et les pratiques un peu musclées des Américains en la matière - qui tiennent davantage à leur conception particulière (mais cohérente, et moins marquée des vestiges d’une société d’Ancien Régime que la nôtre) de la liberté d’expression qu’à quoi que ce soit d’autre. En Angleterre, où la procédure est également accusatoire, les juges ont l’habitude de restreindre la couverture de presse jusqu’à l’issue du procès. C’était le premier amalgame.

    Première approximation maintenant : le Procureur ne peut, dans la plupart des Etats, pas décider « seul Â» de mettre en accusation pour les crimes graves, le passage par le Grand Jury est obligatoire. On peut contester l’efficacité du filtre (une plaisanterie qui court dans les tribunaux aux US est qu’un Grand Jury inculperait un sandwich au jambon (would indict a ham sandwich), mais il existe, et il a été utilisé dans l’affaire Strauss-Kahn.

    Deuxième approximation ou plutôt omission : certes le système accusatoire peut entraîner un déséquilibre entre les moyens de la défense et ceux de l’accusation – mais la plupart des Etats et le système fédéral (exception notable : le Texas …..) ont mis en place des systèmes efficaces où des avocats spécialisés (Public Defender’s Office ou Federal Defender’s Office), rémunérés par l’Etat mais indépendants du pouvoir politique assure la défense des plus démunis. Ces mêmes bureaux ont également, dans de nombreux cas (pour sûr dans le système fédéral), des enquêteurs à disposition. Ils sont aussi, fréquemment, épaulés par des avocats de grands cabinets attachés au principe d’égalité à la justice (et rémunérés à tarif très réduit, au fédéral en application du Criminal Justice Act). Rappelons aussi que depuis l’arrêt Brady v. Maryland (1963) les procureurs ont l’obligation de communiquer les pièces à décharge à la défense – sous peine de nullité de la procédure, voire de sanction disciplinaire. Ce dernier point pose régulièrement de graves difficultés, le non-respect de l’obligation étant parfois difficile à détecter – mais pas forcément plus que la fameuse obligation des juges d’instruction français d’instruire « Ã  charge et à décharge Â»â€¦.

    Deuxième amalgame, ou plutôt biais dans la perspective : on parle beaucoup du respect de la présomption d’innocence, etc. Très bien : mais la façon dont la vie privée de la victime a été étalée dans la presse ici (sans parler des commentaires selon lesquels il n’y a « pas mort d’homme Â») est, du point de vue de la dignité de la victime, tout aussi critiquable que les attaques en-dessous de la ceinture du NY Post. Et les procédures interminables propres à la procédure accusatoire française, surtout dans ces affaires d’abus sexuels, sont insupportables pour les victimes. Le « speedy trial Â» à l’américaine, de ce point de vue-là, est nettement préférable (la sanction du non-respect du délai de jugement post-inculpation est le rejet des charges contre l’accusé, pas une indemnisation financière comme ici : autant dire que cela motive !).

    Tout cela pour dire qu’instrumentaliser l’affaire DSK dans le cadre d’un débat par ailleurs légitime sur l’avenir de la procédure pénale française est une très mauvaise idée.

    Dommage, d’ordinaire le niveau des interventions sur ce site est bien meilleur.

    Esquire, avocat au barreau de New York et ancien law clerk auprès d’un juge fédéral

    par Esquire | 21 juin 2011, 11:49
  3. L’Affaire DSK ou les limites de la procédure accusatoire

    En droit français de toute façon c’est toujours la pagaille. Notre gouvernement devrait faire revoir le code pénal qui devient vraiment vieillot !

    par nathpic | 12 novembre 2011, 18:03

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