Billets d’humeur

Un jugement, kesako ?

Un jugement kesako ?

Non, un jugement n’est pas une grille sur laquelle le juge ou même son greffier coche des croix.

Non, un jugement ne ressemble pas à un PV de contravention.

Non, un jugement n’est pas seulement la décision intrinsèque prise par le juge en son for intérieur.

Non, un jugement n’est pas un compte rendu de réunion.

Un jugement c’est quoi alors ?

Un jugement, concrètement, c’est un document par lequel le juge explique les raisons qui l’ont poussé à prendre la décision qu’il annonce. La loi encadre le contenu du jugement, lequel serait nul sans un certain nombre de mentions, mais un jugement doit surtout être motivé : la décision doit être expliquée pour garantir le justiciable contre l’arbitraire des magistrats. Pour cela, le juge, auteur dudit jugement, doit reprendre le principe du syllogisme judiciaire. Ah quel doux mot, un peu suranné, qui sent bon la fac de droit ! Le syllogisme judiciaire cela peut se résumer par le mécanisme suivant : voilà la règle de droit applicable, voici les faits de notre situation qui nous est soumise, voici donc la décision qui en résulte.

Aussi lorsque vous entendez un magistrat dire qu’il a des jugements à rédiger, gardez vous de sous-estimer la tâche qui est la sienne ! Mettons de côté le temps de la réflexion, préalable nécessaire pour trancher le litige, et attachons-nous au temps même de la rédaction.

Expliquer en se basant sur la loi, avec des mots choisis pour ne pas blesser ni vexer, mais en étant intelligible et accessible pour que ses destinataires comprennent les raisons de la décision, à défaut d’y adhérer, cela ne se fait pas en un tournemain ! Et c’est encore plus délicat dans des domaines sensibles tels que la sécurité publique (pensons aux décisions du Juge d’application des peines qui seront décortiquées au moindre incident ou récidive du condamné !), les libertés individuelles (il est plus aisé de critiquer a posteriori les motifs d’une détention provisoire ou d’une mise en liberté, quand la culpabilité ou l’innocence a été établie !) ou la protection de l’enfance (les motivations du Juge des enfants ont un impact direct sur le travail qui va être mené avec la famille).

Tout cela correspond au bréviaire du magistrat, le B-A-BA en quelque sorte. La base.

C’est évidemment ce que chaque juge aspire à faire autant que possible, lorsqu’il parvient à s’isoler suffisamment des contingences du quotidien, à s’extraire de la masse des dossiers qui l’attendent, et qui ont l’air de tellement se ressembler alors qu’ils sont tous différents... Résistera-t-il à la tentation de la trame dont il ne reste qu’à compléter les trous ? Tout dépend si aujourd’hui il siège aussi toute la journée en correctionnelle pour remplacer un collègue absent depuis 6 mois et non remplacé, ou s’il doit faire les tâches que son greffier ne peut accomplir, lui-même trop occupé à pallier la vacance de poste de son collègue... Cela dépend aussi s’il a du papier ou une cartouche d’encre compatible avec son imprimante...

Chaque jour des milliers de décisions sont rendues par des magistrats qui, s’ils ne peuvent toujours accomplir cette tâche avec autant d’application qu’ils le souhaiteraient, font le maximum avec les moyens qui sont les leurs, afin d’offrir aux justiciables des décisions à la hauteur de l’intérêt qui est porté à leur situation.

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