Réforme de l’ENM

Contribution de l’AJM à la consultation de M. Thony

Monsieur le Directeur,

Vous avez bien voulu solliciter les contributions des magistrats concernant le futur de l’ENM. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un des objectifs de l’Association des Jeunes Magistrats, qui représente aujourd’hui une soixantaine de membres sur tout le territoire, est de réfléchir à une formation de qualité. C’est pourquoi nous avons l’honneur de vous adresser ci-joint la contribution de notre association.

L’Association des Jeunes Magistrats (AJM) est consciente que des aménagements immédiats doivent être réalisés concernant la formation des magistrats afin de répondre à un cahier des charges inclus dans votre lettre de mission. Mais elle tient à insister sur le fait qu’une véritable réforme en profondeur de la formation ne peut être envisagée qu’avec temps et concertation. C’est pourquoi l’AJM formule le voeu que vous puissiez avoir le temps nécessaire à toute réflexion globale. L’AJM souhaite participer à cette réflexion sur la formation des magistrats et a déjà pris l’initiative d’organiser des débats dès début 2008 sur des questions fondamentales qui doivent être discutées loin de toute pression politique ou médiatique. Nous ne manquerons pas de vous tenir informé de nos travaux. Ainsi notre association souhaite que la question centrale sous-jacente des réformes actuelles sur la formation “Peut-on être jeune et magistrat ?”, puisse être enfin abordée et discutée. L’AJM tient en outre à attirer l’attention sur les dangers de réformes trop rapides qui désorganisent une formation à l’équilibre fragile et souhaite qu’une réflexion sur les qualités nécessaires à l’exercice de la profession de magistrat soit la base de toute réforme.

L’AJM, consciente des enjeux et débats actuels concernant la formation des magistrats propose plusieurs améliorations qui pourraient être réalisées immédiatement, avant toute réflexion sur le long terme. Ces propositions visent à assurer le recrutement et la formation de magistrats ayant de solides compétences techniques et des qualités humaines incontestables.

Afin d’assurer un recrutement diversifié des magistrats, l’AJM propose :

- qu’une indemnité spécifique et conséquente assure l’attractivité de la profession pour les magistrats et auditeurs de justice qui justifient d’une activité professionnelle antérieure,

- que le décret d’application de la Loi organique du 25 juin 2001 soit enfin et rapidement adopté car il permettrait aux magistrats issus des concours complémentaires de racheter leurs droits à pension,

- que les candidats à l’intégration directe puissent bénéficier lors de leur stage probatoire d’une indemnisation conséquente pouvant donner lieu le cas échéant à restitution, comme pour tout fonctionnaire en formation et notamment les auditeurs de justice, en cas d’échec ou d’abandon.

Afin d’assurer un recrutement technique des magistrats, l’AJM propose :

- que les épreuves techniques, écrites et orales soient actualisées, ce qui n’a pas été fait depuis trop longtemps,

- que les épreuves écrites du premier et du deuxième concours restent identiques afin toujours d’assurer le recrutement de magistrats compétents et que la diversité du recrutement ne conduise pas à une dévalorisation de ce concours via notamment l’introduction de QCM,

- qu’un partenariat efficace soit mené avec les IEJ afin d’améliorer les préparations aux concours et ainsi éviter le recours par beaucoup de candidats aux préparations privées, facteur indéniable d’inégalité d’accès aux concours.

Afin d’assurer l’ouverture des magistrats, l’AJM propose :

- que le stage extérieur soit immédiatement réintroduit en ce qu’il permet à l’auditeur de justice de s’enrichir d’autres expériences notamment auprès d’associations des victimes, d’entreprises, ou d’autres administrations. Ce stage est essentiel dans l’obligation d’ouverture des magistrats sur le monde et la société.

- afin d’assurer l’effectivité du stage extérieur, il existe deux possibilités. La première est que le stage avocat soit immédiatement diminué à 4 mois maximum par voie législative, la seconde est que les 2 mois de stage extérieur puissent être réalisés à la place d’1 semaine de stage découverte, d’1 semaine de formation à Bodeaux, de 2 semaines de stage parquet (qui est de 8 semaines là où les autres ne sont que de 6 semaines), d’1 semaine de stage Siège TGI (qui est actuellement de 7 semaines), d’1 semaine de stage Instruction (qui est actuellement de 6 semaines alors que le stage Enfants et le stage Application des peines sont chacun de 5 semaines) et des 2 semaines de stage Cour d’Appel (deux jours dans le cadre de la pré-affectation suffisent). L’AJM rappelle que la formation des magistrats doit être équilibrée ce qui n’est plus aujourd’hui le cas.

- que des échanges avec les différentes écoles notamment européennes de formation des magistrats puissent être réalisés de manière plus systématique et régulière, le stage extérieur permettait d’ailleurs des échanges fréquents avec les différentes écoles européennes.

Afin d’assurer la présence de magistrats ayant des qualités humaines essentielles à l’exercice de leur profession, l’AJM propose :

- que les personnalités ne disposant pas manifestement de ces qualités humaines soient décelées en amont de leur entrée dans la profession, pour les trois concours d’entrée (en vertu d’un principe d’égalité des candidats et dans la mesure où l’expérience professionnelle n’est pas toujours gage de qualités humaines) soit par la modification des enjeux du grand oral en le recentrant sur la personnalité, l’ouverture d’esprit, et les compétences humaines tel un entretien d’embauche, notamment par l’introduction d’une personnalité compétente dans ce domaine, soit par l’introduction d’une épreuve non évaluée mais éliminatoire, de mise en situation comme ce qui existe pour le concours d’administration pénitentiaire en ce qu’elle permet concrètement de repérer les individus ayant des difficultés relationnelles. L’AJM n’est pas pour l’instant du moins favorable à l’introduction d’un test psychologique dont les critères et son succès sont aléatoires et variables et seront constamment sujet à discussions, critiques, et suspicions quant à leurs utilisations. L’AJM précise qu’un simple “entretien d’embauche” ne peut suffire car les difficultés relationnelles peuvent ne pas apparaître dans ces circonstances,

- que l’école assure une véritable formation à la communication, à la technique de l’entretien, et à la psychologie, sans qu’il s’agisse d’imposer des schémas de fonctionnement mais des bases de réflexion,

- que la conversation avec le jury de l’examen de sortie soit orientée sur les capacités de l’auditeur à exercer la profession de magistrat et notamment sur le savoir être, la prise de recul,

- que l’école prenne enfin toutes ses responsabilités dans l’évaluation des auditeurs de justice et dans les décisions d’exclusion ou de redoublement. Mais à la condition que des critères précis soient mis en place, qu’une procédure contradictoire de contestation sérieuse et indépendante soit ouverte, et que l’école dispose des moyens d’appréciation réels, le cas échéant, des qualités humaines nécessaires,

- que les chefs de cours prennent toutes leurs responsabilités et disposent des moyens nécessaires, pour que les personnalités n’ayant pas les qualités humaines nécessaires puissent, une fois en fonction, ne pas être seulement cantonnées dans des fonctions moins exposées, mais surtout exclus de la magistrature,

Afin d’assurer une formation technique et de qualité, l’AJM propose :

- que l’école enseigne non pas seulement la qualité théorique mais aussi la gestion de contentieux de masse nécessitant de la qualité dans le moindre temps,

- que pour chaque direction d’étude un chargé de formation référent soit désigné afin d’assurer une cohérence dans l’évaluation de l’auditeur de justice et une évolution de la formation enseignée,

- que des magistrats et des partenaires de terrain interviennent plus régulièrement afin d’apporter encore plus de pratique à la formation mais en soutien et non à la place des chargés de formation référents,

Afin d’assurer l’égalité des auditeurs vis-à-vis de l’évaluation, l’AJM propose :

- qu’une large réflexion s’engage sur le principe de l’évaluation des auditeurs de justice puisque seuls devraient compter l’aptitude à l’exercice des fonctions de magistrats. L’évaluation du stage juridictionnel gêne souvent l’auditeur de justice dans son évolution, et accentue les inégalités selon le lieu du stage juridictionnel et le maître de stage. L’aptitude pourrait être décernée par l’ENM et l’examen de sortie pourrait avoir essentiellement pour intérêt de classer les auditeurs de justice afin de leur permettre de choisir leur premier poste, s’ils ne peuvent pas se mettre d’accord,

- que si le système d’évaluation du stage juridictionnel est conservé, des règles précises soient enfin énoncées quant à l’évaluation attendue par l’école, notamment sur son caractère administratif ou non et par conséquent que les maîtres de stages soient formés à cette notation, afin d’assurer au maximum l’égalité des auditeurs de justice,

- que tous les maîtres de stage soient enfin formés à la pédagogie non pas seulement sur ce que l’école attend mais aussi sur ce qui doit et peut être demandé à l’auditeur de justice, trop d’abus étant souvent notés,

- que les directeurs des centres de stages disposent plus encore que les autres d’une formation à leur rôle et la notation,

Afin d’assurer le passage d’auditeur de justice à magistrat, l’AJM propose :

- qu’un réel tutorat institutionnel puisse être mis en place, non pas seulement comme il est parfois fait dans de petites juridictions par le chef de juridiction, mais avec des magistrats plus expérimentés, même seulement de quelques années. L’AJM n’est pas du tout favorable à la création d’un statut particulier du magistrat débutant qui nous paraît contraire au rôle même de l’école, à la formation déjà longue des magistrats et au statut de la magistrature notamment son indépendance. L’AJM souhaite qu’un accompagnement facultatif ou non du magistrat débutant puisse être mis en place. L’AJM précise qu’elle a déjà pris cette initiative au titre d’un de ses objectif,

- que le jeune magistrat présent au Conseil d’Administration de l’ENM assure une véritable représentation des magistrats débutants, via notamment son élection par tout magistrat ayant 7 ans d’ancienneté maximum,

- que la formation continue offre des formations en langues étrangères, et permette aux magistrats de faire des stages à l’étranger tant dans les écoles de formation des magistrats qu’en juridictions.

Fort de ces quelques réformes d’ajustements et d’améliorations rapides, l’AJM souhaite que l’ENM engage avec tous les magistrats et leurs partenaires une réelle réflexion sur la formation.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Directeur, en l’assurance de notre très haute considération, et nous restons à votre disposition pour toute précision que vous jugeriez utile.

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