Billets d’humeur

Filmer les audiences : le précédent d’AZF ?

La Cour de Cassation, plus haute juridiction en France, a validé le 17 février 2009 la décision du Premier Président de la Cour d’Appel de TOULOUSE de filmer l’audience correctionnelle sur le drame d’AZF. C’est la première fois depuis les procès historiques de la seconde guerre mondiale (Barbie, Papon et Touvier) qu’une telle initiative est prise. C’est la première fois qu’une audience correctionnelle va être filmée puisqu’il s’agissait auparavant d’audiences de Cour d’Assises. La loi dite BADINTER de 1985 autorisait de filmer les audiences lorsqu’il y a un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la Justice. L’argument utilisé pour AZF est intéressant puisque sont visés l’intérêt scientifique de conserver la trace d’une discussion technique et l’intérêt historique pour la ville de TOULOUSE de conserver une mémoire visuelle de son patrimoine industriel.

On pourrait s’étonner d’une telle décision en ce qu’elle ne correspond pas stricto sensu aux critères de la loi BADINTER. L’intérêt de filmer le procès AZF existe bien pour la ville de TOULOUSE et la mémoire de ses habitants. Mais est-ce intéressant pour la Justice ?

Considérer qu’il en est de l’intérêt de la Justice puisque le débat qui aura lieu devant elle est sans précédent conduit à interpréter de manière très large les critères définis. Ainsi, le procès ERIKA aurait pu être filmé comme le procès d’Yvan Colonna puisque l’un comme l’autre constituent des faits sans précédents dans l’histoire de France. De même, les procès de Guy Georges, d’Emile Louis ou de Michel Fourniret ne représentent-ils pas une valeur historique pour la Justice, les médias, l’histoire des tueurs en série et pour les régions où ces faits se sont déroulés ? Pourquoi ne pas filmer le procès du "Gang des Barbares" qui doit bientôt s’ouvrir en ce qu’il représente un intérêt pour l’histoire des communautés et du savoir vivre ensemble dans notre pays ?

Ouvrir la voie aux caméras dans les salles d’audience ne me paraît pas négatif. Bien sûr cela doit être encadré afin de garantir la présomption d’innocence, le droit à l’image des personnes, et le droit au respect des victimes. Mais pourquoi se cacher derrière un intérêt historique dès lors que cet intérêt serait entendu très, voire trop largement ? Conserver une trace d’un moment de l’histoire est essentiel mais il n’est plus la seule raison pour autoriser de filmer les audiences. L’intérêt de filmer les audiences me paraît aussi pédagogique. Déconstruire les fantasmes du public, montrer le fonctionnement de l’institution, et éviter les amalgames et les filtres médiatiques sont autant de bonnes raisons pour filmer les audiences. Le spectacle judiciaire qui passionne les foules aurait au moins comme intérêt de laisser le citoyen se confronter seul à son imaginaire de Justice. La crainte de faire de la Justice un spectacle visuel ne m’apparaît pas convaincante dès lors que le procès lui même reste hors d’atteinte des projections imaginaires du spectateur.

Dès lors, ce ne sont pas seulement les "grands" procès médiatiques qu’il faudrait filmer, mais aussi les petites affaires comme le propose le film "10ème chambre" de Depardon. Ce n’est pas non plus 50 ans qu’il faudrait conserver ces films avant de les diffuser, mais c’est tout de suite qu’il faudrait le faire ou juste après le procès afin de confronter l’image de Justice à sa réalité.

Faites que la décision de la Cour de cassation sur l’audience AZF crée un précédent. Mais faites aussi que les mentalités évoluent pour installer les caméras dans les salles d’audience. Ce serait oeuvre de pédagogie dont la Justice a tellement besoin aujourd’hui.

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