Juge d’instruction

Réponse de l’AJM au courrier de M. EXERTIER sur le questionnaire "indépendance"

Cher Raymond EXERTIER,

Nous vous remercions sincèrement pour votre message qui nous permet d’ouvrir le débat sur notre questionnaire. Vous vous vouliez un brin ironique, sachez que nous apprécions tant la forme que le fond. Si l’AJM se veut ouverte à la critique elle n’en demeure pas moins critique sur le fonctionnement de l’institution judiciaire. D’où ce questionnaire.

Visiblement nos intentions sont passées inaperçues. Tant mieux, cela permet aux réponses de ne pas être téléguidées et donc d’être plus libres. La preuve avec votre réponse. Notre inquiétude était vraiment de dévoiler trop rapidement nos interrogations quant à l’indépendance des magistrats puisque notre démarche se veut avant tout une consultation large et pratique.

Alors bien sûr, lorsque vous laissez penser que les jeunes magistrats ne sont pas critiques sur leur profession, se regardent le nombril et n’ont aucune vision théorique de leur indépendance, cela nous attriste. Mais au fond nous partageons aussi cette crainte quant à certains jeunes collègues.

Cependant, cette remise en cause et ce questionnement quotidien de notre profession, sont à l’origine même de la création de notre association. Pourquoi sans cela aurions nous effectué ce questionnaire ? Bien sûr, si vous vous baladez sur notre site internet, vous découvrirez notre critique des festivités du cinquantenaire de l’ENM et notamment de l’absence du mot « d’indépendance » dans les discours officiels. Cette indépendance n’est d’ailleurs pas reconnue par l’ENM comme qualité pour être magistrat (voir à cet effet les travaux préparatoires de la réforme de l’ENM).

Contrairement à ce que vous pensez, l’AJM craint que les jeunes « lavent plus noir » que leurs aînés. C’est pourquoi l’AJM repose une nouvelle fois la question de l’indépendance des magistrats. Mais loin des grands discours et des grandes théories, sous l’angle d’un regard pratique.

Alors oui, c’est volontaire de notre part de ne pas définir d’emblée l’ « indépendance ». Puisque chacun a une perception différente de son indépendance de magistrat, ne pas la définir permettait à celui qui acceptait de répondre au questionnaire de proposer sa propre définition et d’orienter du coup ses réponses. Ça nous semblait intéressant de dépasser une définition théorique de l’indépendance pour se concentrer uniquement sur la pratique de l’indépendance dans notre quotidien professionnel.

Vous vous offensez de l’absence du mot parquet dans notre questionnaire. Vous remarquerez que le mot siège n’y est pas non plus présent. Nous demandons en première question la fonction du magistrat ce qui pour nous pose clairement la question de l’indépendance des magistrats du parquet et des magistrats du siège. Au risque de choquer, nous la mettons aujourd’hui au même niveau car un certain constat inquiète aussi quant à l’indépendance des magistrats du siège. Nous avons voulu permettre au magistrat, en fonction de son appartenance au siège ou au parquet, de lire le questionnaire de manière différente.

Aujourd’hui nous avons l’impression que la distinction entre l’indépendance des magistrats du siège et la dépendance des magistrats du parquet est peu à peu dépassée. Lorsque vous dîtes que « légalement, on ne pourra jamais donner un ordre à un magistrat du siège sur sa façon d’apprécier une affaire » nous avons le sentiment inverse qu’aujourd’hui on peut intervenir dans le processus de décision d’un magistrat du siège. Lorsque vous critiquez la « proclamation d’indépendance d’un petit substitut de base », nous nous inquiétons aussi de ces juges du siège qui peuvent se voir changer de service parce qu’ils déplaisent. L’absence de protection du statut du Juge des Libertés et de la Détention en est un exemple et la crainte est importante au regard du statut du futur Juge de l’Enquête et des Libertés.

Comme vous le dîtes, l’indépendance n’est jamais un acquis. Mais peut être que le premier devoir professionnel des magistrats n’est aujourd’hui plus leur indépendance, mais, pour certains la loyauté à une institution, ou à une hiérarchie. Aujourd’hui, nous pouvons craindre que l’indépendance soit devenue un véritable choix de vivre sa profession. Loin d’une indépendance innée elle est totalement à acquérir et demande aujourd’hui plus de courage et d’exposition individuelle qu’auparavant. L’indépendance qui se pourrait collective n’est plus pensée qu’individuellement et n’est plus soumise qu’à ce choix personnel du collègue. Vous nous parlez religion, sectes et autres loges maçonniques. Bien sûr que l’impartialité subjective doit aussi se cultiver mais nous avons appris en faculté ou à l’ENM ce que les textes veulent dire. Mais lorsqu’on se retrouve acculé par des statistiques à devoir rendre tant de jugements par semaines peu importe leur difficulté, peut on encore en pratique conserver notre indépendance ?

Comme vous pouvez le voir, le constat de l’AJM est grave et inquiétant. Il est de la responsabilité des jeunes magistrats de se poser ces questions essentielles pour l’avenir de leur profession et de trouver des moyens aujourd’hui de conserver leur indépendance. L’indépendance n’est effectivement plus enseignée à l’ENM. La culture de l’indépendance disparaît à vue d’oeil. Comment apprendre dès lors à être indépendant ? Et par rapport à qui ? A quoi ?

Le Conseil d’Administration de l’AJM

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