Réflexions/Débats

Justice mineure

La lettre de Manuel Valls, député maire PS d’Evry, co-signée par Stéphane Beaudet, maire UMP de Courcouronnes, adressée au Garde des Sceaux suite à de récents affrontements entre « bandes » dans l’Essonne a réactivé le débat classique sur le laxisme des juges des enfants.

Alléguant une totale surdité du tribunal pour enfants face aux réalités du terrain, cette union républicaine sacrée traduit un sentiment partagé par une large partie de l’opinion publique, pour laquelle l’absence de peines d’emprisonnement prononcées à l’encontre de mineurs réitérants demeure incompréhensible.

Il est pourtant contestable de se satisfaire de cette première analyse, pour qui veut faire l’effort de s’abstraire du temps médiatique et de la simple émotion.

Cette justice a tout d’abord une histoire, qui s’est construite sur l’évolution de la perception de l’enfance.

Cette justice a ensuite des limites, justifiable par des freins essentiellement matériels.

Cette justice, enfin, ne s’accorde plus nécessairement aux choix actuels de société. Faut-il donc remettre en cause la lente construction historique sur la base des injonctions de l’opinion publique ?

Une opposition historique entre éducatif et répressif

L’ordonnance du 2 février 1945 énonce clairement le principe du primat de l’éducatif sur le répressif pour les jeunes délinquants.

Ce principe naît évidemment à la sortie du conflit majeur du XXe siècle, où la jeunesse représente une richesse indispensable à la reconstruction.

Ce principe naît également de décennies de réflexion, dressant un bilan d’une justice ne distinguant pas réellement les mineurs des majeurs : les maisons de « correction » se chargeaient de « corriger » de manière sévère les penchants de jeunes transgressant l’ordre social. Les premiers travaux de psychologie sur la jeunesse délinquante et la constitution dans les tribunaux de comités de défense des enfants feront toutefois évoluer la législation, achevant d’opposer définitivement l’éducatif au répressif.

Ce qui s’avérait être une évolution historique, sous l’impulsion notable de la doctrine de la défense sociale nouvelle de Marc Ancel, est aujourd’hui réinterrogée.

La simple dichotomie entre les mesures éducatives et les mesures punitives semble en effet avoir vécu : l’éducation de jeunes mineurs qui, sans caricaturer à outrance, ont souvent souffert d’absence de cadre éducatif strict, n’arrive pas à se passer de réponses fermes, punitives, rassurantes et structurantes.

La réponse pénale pour les mineurs délinquants ne se satisfait donc pas de réponses binaires : le parcours d’un mineur se (re)construit en effet lentement, de manière non linéaire.

Des peines d’emprisonnement, de « coups d’arrêts », peuvent se justifier pour des délinquants très peu connus ayant accumulé sur un temps très bref de nombreux passages à l’acte.

De simples mesures éducatives, telle la mise sous protection judiciaire, peuvent également se justifier pour des récidivistes pour lesquels une rupture avec leur environnement s’impose dans le cadre d’un placement. Rappelons que pour certains jeunes solidement ancrés dans la délinquance, la recherche de peines sans cesse aggravées participe aux rites d’accession à des responsabilités plus élevées au sein de hiérarchies sociales parallèles. L’absence de détention devient alors la punition.

Un dispositif à bout de souffle, par manque de moyens

Ce modèle, autorisant de manière souples des aller-retours entre éducatif et répressif, est à bout de souffle. Pour certains, ce serait la philosophie même du système qui serait inadaptée à une montée en puissance de la jeunesse délinquante.

Ce constat est d’abord statistiquement faux, l’évolution de la délinquance des mineurs témoignant plutôt d’une évolution à la baisse dans les années passées.

La pratique révèle ensuite une autre réalité : l’absence dramatique de moyens à disposition des professionnels.

Loin d’alimenter une rhétorique classique des services administratifs habitués à une logique de moyens, et non de « performance », ce constat est effectué de manière unanime par tous les intervenants du champ de l’enfance délinquante : pour les départements importants de la région parisienne (et d’autres d’ailleurs), il n’est pas rare de trouver un nombre important de mesures éducatives ordonnées mais non attribuées à un éducateur.

Certains services de la protection judiciaire de la jeunesse remisent ainsi des mesures pour des durées allant jusqu’à 6 à 8 mois. Autant dire un siècle pour un adolescent à la dérive, à la recherche de limites que n’ont su lui apporter son environnement familial.

Pour autant, faut-il l’incarcérer du fait de la défaillance des institutions ?

Un choix de société

Il faut reconnaître que les injonctions adressées par l’opinion publique sont bien contradictoires : des jeunes se battent entre eux ? des jeunes investissent un établissement scolaire cagoulés et armés pour se venger ?

Intuitivemement, quelle autre réponse leur apporter que l’incarcération au vu de leur comportement ?

Pourtant, l’analyse des personnalités, de la motivation, du parcours des jeunes gens révèle souvent des surprises : entre les interpellations passant à côté des vrais responsables (les situations étant extrêmement confuses) et les interpellations de jeunes gens embarqués pour la première fois dans des faits de nature pénale, il est parfois impossible d’adresser une réponse pénale à la fois adaptée judiciairement et "médiatiquement".

Et si un jeune se suicidait dans la maison d’arrêt ? La justice ne manquerait pas de devoir se justifier du discernement dont elle n’a pas su faire preuve en incarcérant, à la hâte, un mineur fragile psychologiquement.

Il est donc difficile de présenter aux médias des situations complexes, pour lesquelles les critères de décision, pourtant clairement édictés par la loi, ne sont pas explicités par les politiques ou les médias.

La comparution immédiate des mineurs primo-délinquants n’existe pas. Un mineur ne peut être présenté directement à un juge des enfants pour être jugé, la loi exigeant, en toute hypothèse, des investigations suffisantes sur sa personnalité.

Se présente alors un choix de société : si la majorité, dans une démocratie, estime que la réponse pénale pour les mineurs délinquants doit être semblable aux majeurs, il faut alors voter une loi et en assumer les conséquences, déjà connues.

Car, s’il y a un vrai déficit aujourd’hui, c’est bien celui de la capitalisation de l’expérience. Les solutions, purement répressives, ont déjà été mises en pratique dans notre République, sans effet décisif sur l’évolution de la délinquance, bien au contraire. La prison, lieu de relégation, se révélait en effet être la meilleure école du crime.

Or, sans vulgarisation de la construction de le protection judiciaire de la jeunesse, sans explication des choix qui ont été faits par nos aînés, sans effort pour dépasser le temps médiatique, il est à craindre que les idées qui se présentent comme les plus séduisantes finissent par être les plus courtes.

Auguste Comte, pour qui l’ordre et le progrès étaient des valeurs essentielles, rappelait une évidence : « les vivants sont gouvernés par les morts ». Un peuple sans mémoire, ni histoire, est simplement condamné à répéter sans cesse ses erreurs.

Il est donc aujourd’hui de notre responsabilité collective, magistrats, avocats, éducateurs, policiers, fonctionnaires des services judiciaires, intervenants sociaux, citoyens, d’expliciter que cette justice des mineurs n’a rien d’une justice mineure et qu’elle pourrait apporter une réponse équilibrée, n’opposant pas l’éducatif au répressif, si les dispositifs en place n’étaient pas asphyxiés par manque de moyens.

En déséquilibrant les compromis actuels, longuement acquis depuis 1945, il est donc à craindre que la réforme annoncée ne serve à rien d’autre qu’à reproduire encore plus les inégalités... et donc à aggraver les phénomènes de délinquance.

Voir en ligne : Crédit photographique (cc) Marc Coggins

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Commentaires

1 Message

  1. Justice mineure

    Bonjour,

    Je partage l’essentiel de ton point de vue Yannick, l’analyse me paraissant très juste. Je me permets une rapide observation sur un point sur lequel je suis en désaccord.

    Je ne sais pas si en l’espèce les décisions prises relativement à ces mineurs me paraîtraient adaptées parce que je ne connais pas le dossier, mais je sais que dans bien des cas je trouve les décisions des juges des enfants insuffisamment fermes. Et s’il me parait évident que c’est la loi qui doit changer si on s’estime mécontent des décisions des juges (la démarche de Manuel Valls me paraissant en effet douteuse), ces décisions ne peuvent toujours être justifiées par le principe du primat de l’éducatif sur le répressif ni par le manque de moyens. A la question "faut-il remettre en cause la lente construction historique sur la base des injonctions de l’opinion publique ?", je réponds oui, mais uniquement l’opinion publique sortie des urnes et traduite par des lois. Je crains qu’à se retrancher derrière une connaissance, une technique que ne connaitrait pas l’opinion publique et derrière un manque de moyens, on ne parvienne pas à faire comprendre les décisions. Il me semble d’ailleurs juste de tenir compte de l’émotion suscitée chez les victimes et les témoins dans une certaine mesure dans les décisions, l’équilibre n’étant évidemment pas facile à trouver sur ce plan...

    Julien

    par Julien | 23 juin 2009, 00:13

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